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Cet état d’esprit devenait extrêmement favorable à un retour offensif du paganisme. Depuis les lois si dures de Théodose, qui prohibaient, même à l’intérieur des maisons, le culte des anciens dieux, il n’avait pas manqué une occasion de protester contre les rigueurs impériales. A Carthage, il y avait des batailles continuelles, dans les rues, entre païens et chrétiens, voire des émeutes. Dans la colonie de Suffecte, soixante chrétiens avaient été massacrés. L’année qui précéda la prise de Rome, il y eut des troubles païens à Guelma. Des maisons appartenant à l’église furent brûlées, un moine tué dans la bagarre. Dès que la surveillance de l’autorité se relâchait, ou que les circonstances politiques leur semblaient propices, les païens s’empressaient d’afficher leurs croyances. Tout récemment encore, dans Rome bloquée par Alaric, le nouveau consul Tertullus avait jugé à propos de ressusciter les vieux usages. Avant d’entrer en charge, il observa gravement, dans leurs cages, les poulets sacrés, traça des cercles dans le ciel avec le bâton augural et consulta le vol des oiseaux. Enfin, un oracle païen circulait avec persistance dans la foule, assurant qu’après un règne de trois cent soixante-cinq ans, le christianisme serait vaincu. Les siècles de la grande désolation étaient révolus : l’ère de la revanche allait commencer pour les dieux proscrits.

Ces symptômes belliqueux n’échappaient point à la vigilance d’Augustin. Il ne s’indignait plus seulement de ce que le paganisme fût si lent à mourir : il redoutait encore que la faiblesse de l’Empire ne lui permit de reprendre un semblant de vie. Il fallait en finir avec lui, comme on en avait fini avec le donatisme. Une nouvelle campagne sollicitait le vieil apôtre : il va y consacrer le meilleur de ses forces, jusqu’à la veille de sa mort.


II. — LA CITÉ DE DIEU

Pendant treize ou quatorze ans, à travers mille occupations et mille soucis, au milieu des transes et des alertes perpétuelles qui tenaient en éveil les Africains de ce temps-là, Augustin travailla à sa Cité de Dieu, la plus formidable machine de guerre qu’on ait dressée contre le paganisme, et aussi le plus complet arsenal de preuves et de réfutations, où les polémistes et les apologistes catholiques aient jamais puisé.