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On restait sous le coup de l’émotion excitée par les récits des fuyards. Augustin, dans un de ses sermons, nous a transmis un écho de la panique générale :

« — Des choses horribles, dit-il, nous ont été racontées ; il y a eu des ruines, des incendies, des rapines, des meurtres, des tortures. Cela est vrai, nous l’avons entendu maintes fois, nous avons gémi sur tous ces malheurs, nous avons pleuré souvent, et c’est à peine si nous avons pu nous en consoler !… »

Évidemment, cette prise de Rome était un terrible avertissement pour l’avenir. Mais l’esprit de parti exagéra singulièrement l’importance et la signification du désastre. Pour les païens, comme pour les chrétiens, cela devint un thème à déclamations, un lieu commun de polémique religieuse. Les uns et les autres voyaient dans cet événement une manifestation de la vengeance céleste :

« — Quand nous faisions des sacrifices à nos dieux, — disaient les païens, — Rome était debout, Rome était heureuse. Maintenant que nos sacrifices sont interdits, vous voyez ce que Rome est devenue !… »

Et ils s’en allaient répétant que le christianisme était responsable de la ruine de l’Empire.

De leur côté, les chrétiens répondaient : D’abord Rome n’a pas péri, elle est toujours debout. Elle a été seulement châtiée, et si elle l’a été, c’est parce qu’elle est encore à demi païenne, Dieu a voulu l’avertir par cette punition effroyable (et on raffinait sur la description des horreurs commises) ! Qu’elle se convertisse, qu’elle revienne aux vertus de ses ancêtres, et elle sera de nouveau la maîtresse des peuples !

Voilà ce que disaient Augustin et les évêques. Cependant, le troupeau des fidèles n’était qu’à demi convaincu. On avait beau leur remontrer que les chrétiens de Rome et même bon nombre de païens avaient été épargnés au nom du Christ, que le barbare Alaric avait entouré d’une protection et d’une vénération toutes spéciales les basiliques des saints apôtres, — on ne pouvait s’empêcher de songer que beaucoup de chrétiens avaient péri dans le sac de la Ville, que des vierges consacrées avaient subi les derniers outrages, et qu’enfin tous les habitans avaient été dépouillés de leurs biens… Était-ce ainsi que Dieu protégeait les siens ? Quel avantage trouvait-on à être chrétien, si l’on était traité comme les idolâtres ?…