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arrivait d’être dupe de son rôle. Cette âme trouble de Barbare était sujette aux terreurs les plus superstitieuses.

En dépit de ses rodomontades, il est certain qu’au fond Rome l’épouvantait. Il n’osait guère l’attaquer. Et d’abord l’opération n’était pas commode pour lui. Son armée de mercenaires ne possédait point un outillage suffisant pour le siège de cette énorme ville, dont les lignes de défense embrassaient un tel périmètre. Il dut s’y reprendre à deux fois, avant de se décider à l’investir sérieusement. La première fois, en 408, il se contenta d’affamer les Romains, en arrêtant le service des vivres. Il avait établi son camp sur les rives du Tibre, de manière à intercepter la navigation entre la capitale et les magasins d’approvisionnemens installés près de l’embouchure du fleuve. Des remparts, on voyait aller et venir les soldats barbares, avec leurs casaques de peau de mouton, teintes en rouge cru. Affolée, l’aristocratie s’enfuyait vers ses villas de Campanie, de Sicile ou d’Afrique. On emportait avec soi tout ce qu’on pouvait. On se réfugiait dans les îles les plus proches, jusqu’en Sardaigne et en Corse, malgré leur réputation d’insalubrité. On se cachait même dans les rochers du littoral. La terreur était si grande que le Sénat souscrivit à toutes les exigences d’Alaric. On lui paya une énorme indemnité, moyennant quoi, il consentit à se retirer.

L’année suivante, il usa du même moyen d’intimidation pour imposer un empereur de son choix et se faire conférer par lui ce titre de maître des milices qu’il ambitionnait depuis si longtemps. Enfin, en 410, il frappa le coup suprême.

Le Barbare savait ce qu’il faisait et qu’il ne risquait pas grand’chose, en mettant le blocus devant Rome. Tôt ou tard, la famine lui en ouvrirait les portes. Tous ceux qui l’avaient pu, les riches surtout, avaient quitté la ville. Pas de garnison pour la défendre. Il ne restait derrière les murs qu’une plèbe paresseuse, inhabile aux armes, affaiblie encore par de longues privations. Néanmoins, dans un sursaut de patriotisme, cette population décimée et misérable résista avec la dernière énergie. Le siège fut long. Commencé sans doute avant le printemps, il ne se termina qu’à la fin de l’été. Dans la nuit du 24 août 410, à la lueur des éclairs et au roulement du tonnerre, Alaric pénétra dans Rome par la porte Salaria. Encore est-il certain qu’il n’y réussit que par trahison. Il fallut qu’on lui livrât sa proie.