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Rome ne pouvait se résigner à l’abandon de ses princes. La Cour ayant été transportée à Milan, puis à Ravenne, elle se considérait comme découronnée. A plusieurs reprises, le Sénat avait supplié Honorius de se montrer au moins à ses sujets romains, sinon de venir habiter au milieu d’eux, puisque des raisons politiques s’y opposaient. Ce projet de voyage avait toujours été différé. Au fond, les Césars chrétiens n’aimaient pas Rome et se défiaient de son peuple et de son Sénat encore à demi païens. Il fallait cette victoire inespérée sur les Barbares, pour décider enfin Honorius et ses conseillers. Le sentiment du danger commun avait rapproché momentanément les deux religions antagonistes, et voici qu’elles semblaient se réconcilier dans une même allégresse patriotique. Les haines anciennes étaient oubliées. Enfin l’aristocratie païenne espérait de Stilicon un traitement plus favorable. Pour toutes ces raisons, le César triomphant fut accueilli à Rome avec une joie délirante.

La Cour, partie de Ravenne, avait traversé l’Apennin. On s’était arrêté aux bords du Clitumne, où, dans les temps antiques, on venait chercher les grands bœufs blancs que les triomphateurs sacrifiaient au Capitole. Mais les dieux de la patrie étaient vaincus : cette fois, il n’y aurait pas de bœuf opime sur leurs autels. Les païens y songeaient avec amertume.

De là, par Narni et la vallée du Tibre, on descendit dans la plaine. Le pas cadencé des légions sonna sur les larges dalles de la Voie flaminienne. On franchit le Pont Milvius, — et la vieille Rome apparut comme une ville toute neuve. En prévision d’un siège, le régent avait fait réparer la muraille d’Aurélien. Los briques rouges de l’enceinte et des tours fraîchement maçonnées éclataient au soleil. Enfin, en suivant la Via lata, le cortège s’achemina vers le Palatin.

La foule s’écrasait dans cette longue rue étroite, refluait dans les ruelles adjacentes. Les femmes en atours se pressaient aux balcons et jusque sur les terrasses des palais. Tout de suite, les spectateurs remarquèrent que le Sénat ne précédait point le char impérial. Stilicon, qui tenait à le ménager, l’avait dispensé, contrairement à la coutume, de marcher à pied devant le triomphateur. On commentait avec satisfaction cette mesure habile, où l’on voyait la promesse de nouvelles libertés. Mais des applaudissemens et des acclamations enthousiastes saluèrent