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ordonné à Ladmirault d’opérer un mouvement tournant sur la gauche de l’ennemi, vers Gorze par Mars-la-Tour, et Ladmirault n’avait pas permis à ses troupes de l’accomplir : en plein succès, il avait interrompu le mouvement commandé.

La faute capitale de la journée, l’inertie de notre droite, ne peut être imputée à la fois à Ladmirault et à Bazaine. Bazaine n’a-t-il pas ordonné, Ladmirault ne mérite aucun blâme ; Ladmirault a-t-il désobéi à un ordre donné, Bazaine échappe à tout reproche. Or il est certain que Bazaine a ordonné et que Ladmirault a désobéi.

On peut le dire : si Bazaine avait été obéi par tous, la journée n’aurait pas été indécise, elle fût devenue une belle victoire. Si on appliquait à Ladmirault la méthode de suppositions psychologiques dont on se sert contre Bazaine, on dirait, en s’appuyant du témoignage de son officier d’ordonnance : « Ladmirault détestant Bazaine et ne voulant pas lui donner l’auréole d’une victoire a retenu les troupes et compromis les destinées de son pays. » Mais personne ne s’est permis cette supposition infâme. Pour tous, après comme avant, Ladmirault est resté un loyal soldat, d’une capacité éprouvée, digne de tout respect. Seulement, ce jour-là, il s’est trompé, ou plutôt il a succombé à la fatigue : « La limite des forces, dit son officier d’ordonnance, était atteinte à la fin d’une journée de marche continue depuis le matin sous un soleil d’août. Je peux l’affirmer, pour l’avoir ressenti personnellement, au point que mes forces me refusèrent un dernier service, à moi, bien monté, et alors dans la force de l’âge. Certainement, les forces du général étaient à bout, elles l’étaient déjà au commencement de la journée[1]. »


EMILE OLLIVIER.

  1. La Tour du Pin.