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neuf heures du matin à huit heures du soir, a usé ses forces à soutenir ses troupes, à souffler l’ardeur martiale de l’attaque ou de la résistance, celui sans l’énergie duquel la bataille aurait plus d’une fois fléchi, ce n’est plus une opinion fausse, c’est une impertinence au bon sens que l’histoire ne doit pas s’abaisser à discuter.

Le mot définitif sur cette bataille du 16 août a été dit par deux généraux : le général Soleille et le général de Cissey. Soleille a dit : « Si le programme que le maréchal Bazaine s’était tracé avait pu recevoir une exécution complète, si l’ennemi, repoussé de Mars-la-Tour et Vionville, avait été refoulé dans les ravins de Gorze et culbuté dans la Moselle, l’armée française aurait pu, le 17 août, continuer sa route sur Verdun[1]. » Et de Cissey : « Presque tout ce qu’on dit du maréchal Bazaine n’est qu’un tissu d’infamies : ce qu’il y a de vrai, c’est qu’il n’a jamais été franchement obéi[2]. »

En effet, le malheur de Bazaine est d’avoir été mal obéi. Il avait défendu d’abord de livrer la bataille à Borny, puis, la bataille entamée, de la pousser à fond, et Ladmirault avait entamé la bataille et lui avait donné une extension démesurée. Il avait ordonné aux vaguemestres de grouper les convois des divisions et des corps d’armée au Ban Saint-Martin, et d’attendre qu’on les mit en mouvement, et les voitures s’étaient engagées isolément sur la route, en se faufilant dans les intervalles laissés entre les colonnes et avaient partout porté l’encombrement. ; Il avait ordonné à Frossard de coucher le 15 août au soir à Mars-la-Tour, et, quoique l’exécution de cet ordre ne présentât aucune difficulté, les troupes n’étant pas fatiguées, Frossard s’était arrêté à Rezonville. Il avait ordonné à Ladmirault de se diriger sur Doncourt par une route à reconnaître, celle de Lorry, et d’éviter celle de Briey, et Ladmirault n’avait pas reconnu la route de Lorry, avait choisi celle de Briey et envoyé sa division Lorencez se perdre sur la route de Lessy, nous privant au moment décisif d’une division entière. Il avait encore ordonné à Ladmirault de se mettre en route le 15 au soir, et Ladmirault ne s’était mis en marche que le 16 au matin, n’était arrivé à Doncourt que vers midi, en pleine bataille[3]. Enfin il avait

  1. Rapport.
  2. Lettre à sa femme, 8 novembre 1870.
  3. « Qui peut dire aujourd’hui, s’écrie Jarras, ce qu’il en serait advenu si cet ordre avait reçu son exécution immédiate. Le même soir ce corps, tout entier, ou au moins deux de ses divisions eussent été rendus à Doncourt et la bataille de Rezonville se serait engagée le lendemain dans des conditions telles que, dès le début même, elle aurait pris une physionomie différente de celle qu’elle a eue et que probablement le résultat en eût été tout autre. » (Souvenirs, p. 97.)