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quelque chose de décousu. Ce n’est que par l’offensive, qui agit sans se préoccuper de ce que veut l’ennemi, qu’on peut avoir un ordre, une tenue, une suite.

Une des pratiques ordinaires de Bazaine a permis d’imputer à sa direction quelque chose d’indécis, quoiqu’elle ne fût qu’une de ces décentralisations du haut commandement tant admirées dans les directives de Moltke, et tant préconisées par les théoriciens de la guerre moderne. S’adressait-il à un maréchal qui avait été son supérieur, ou a un général renommé pour ses capacités tel que Bourbaki ou Ladmirault, il ne leur dictait pas minutieusement leur conduite, il leur indiquait le but, s’en rapportant à leur expérience du soin de trouver eux-mêmes les meilleurs moyens de l’atteindre. Et, en indiquant le but, il évitait d’employer la forme impérative ; il paraissait exprimer un avis à des égaux plutôt qu’un ordre à ses subalternes. « Un avis, donné par un supérieur, équivaut à un ordre auquel on doit obéissance[1] ; » toutefois, il ne vaut pas un : « Je le veux » sec, et il permet aux malintentionnés de voir une mollesse là où il y a une courtoisie. D’autres donnaient aussi des formes polies à leurs ordres, quoique très explicites : « Je vous prie d’ordonner, » écrivait Soleille aux divers commandans de l’artillerie.

La critique qu’on peut adresser à Bazaine est d’avoir été à certains momens plus soldat que généralissime, par exemple lorsqu’il est allé lui-même porter ses instructions à Ladmirault et à Le Bœuf. La place d’un chef n’est pas à côté des tambours, pour lancer les troupes ou à la tête des batteries pour mieux établir ses positions, ou sur les routes pour donner des ordres ; il doit être en un point central où on sera certain de le rencontrer. Pendant la plus grande partie de la bataille, on n’a point su où trouver le général en chef ; il a rempli l’office réservé à ses officiers d’état-major, tenant ceux-ci immobiles autour de Jarras, posté quelque cent pas derrière lui, et ne les envoyant pas sur le terrain se renseigner ou porter des ordres. Toutefois, cette irrégularité ne paraît pas avoir nui à la direction générale, car, en s’occupant d’un détail, il ne perdait pas de vue l’ensemble et, où qu’il fût, il eut constamment la connaissance exacte de la position des divers corps et les fit mouvoir avec certitude au point nécessaire. Dire qu’il n’a pas voulu vaincre, celui qui, de

  1. Général Bonnal.