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dans son cabinet de travail devant une carte. Il a été actif, à cheval toute la journée, parcourant le champ de bataille. C’était, a-t-on dit, afin de se dispenser de commander. Or, il n’a galopé sur le terrain que pour commander de plus près. On a supputé un certain nombre d’unités d’infanterie ou d’artillerie auprès desquelles il passa sans leur donner des ordres. On paraît ignorer qu’un généralissime ne doit pas communiquer directement avec les troupes de ses chefs de corps d’armée parce que ce serait un empiétement cause de désordre : il ne s’adresse qu’aux chefs eux-mêmes à qui il appartient de disposer de leurs troupes selon les indications qu’ils ont reçues.

Il a été résolu : de tous ses ordres et ses actes résulte qu’il n’a eu durant cette journée qu’une pensée fixe, celle de s’éloigner de Metz et d’empêcher qu’on coupât sa ligne de retraite sur Verdun. Et cette ligne eût été absolument coupée si les Allemands restaient maîtres de la route de Rezonville à Mars-la-Tour, d’où ils n’auraient pas tardé à avancer sur celle de Conflans. Il ignorait le chiffre véritable des corps qu’il avait devant lui, il pouvait supposer que plusieurs armées s’avançaient derrière l’avant-garde qui l’assaillait, que ces armées agiraient à la fois sur Rezonville et Mars-la-Tour et que, maîtresses de ces deux points, elles le prendraient entre deux masses. C’est pourquoi, pendant toute la bataille, il fut préoccupé de s’assurer que son flanc gauche ne serait point enlevé et ne cessa de le fortifier. Sur le flanc droit, il n’y avait pas une défaite à éviter, mais une victoire à poursuivre. Ladmirault, s’il arrivait en temps utile, soutenu par Le Bœuf et Canrobert, en s’avançant vivement sur Mars-la-Tour, s’en emparait. De ce côté, Bazaine n’avait pas de renforts à envoyer ; il suffisait de hâter le mouvement de Ladmirault, à quoi il n’a pas manqué, puisqu’il lui a dépêché plusieurs officiers dans la journée et que lui-même a essayé de le rencontrer.

Sans doute il y a eu du décousu dans la bataille. Pouvait-il n’y en pas avoir en présence d’un ennemi dont l’offensive changeait sans cesse d’orientation ? Ce n’était pas une bataille rangée, préparée comme celle d’Iéna, mais un combat défensif de surprise, dont les assaillans modifiaient à tout instant l’allure et la physionomie et qui obligeait à des modifications correspondantes. Toute bataille défensive, vous mettant à la discrétion de l’adversaire dont on ignore les desseins, a nécessairement