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tenaient son caractère en si haute estime qu’ils lui passaient cette petite faiblesse.

Nos chefs, même ceux qui se sont trompés, avaient vaillamment rempli leur mission. Néanmoins, d’aucun d’eux on n’a à signaler un acte exceptionnel. Canrobert ne demeure point passif ; il enflamme, par des harangues où il excellait, l’ardeur de ceux qui allaient au combat, envoie ses officiers se renseigner auprès de Bazaine ou lui porter des conseils et des exhortations à pousser sa droite en avant, mais il laisse presque toujours à ses excellens divisionnaires le soin des initiatives nécessaires. Le Bœuf, dont le corps d’armée est un réservoir où doivent puiser les troupes combattant en première ligne, est aux aguets toute la journée, regardant de quel point de l’horizon on l’appellera, donnant ses divisions à qui les demande, prêt à seconder le mouvement tournant de Ladmirault, dès que celui-ci lui fera un signe, mais attendant toujours et, en attendant, ne remuant pas. Bourbaki se prodigue, désolé toutefois de n’employer son incomparable Garde qu’en troupe de remplacement et de ne pas trouver l’occasion d’assurer le succès par une intervention décisive. Frossard fait de son mieux, mais disparait très vite du champ de bataille. Lapasset arrête davantage notre admiration ; il n’y a au-dessus de lui que Cissey, qui, par l’exploit du Ravin de la Cuve, sort du rang et se désigne au commandement des armées. C’était une physionomie militaire captivante. Fortement constitué, robuste avec de l’élégance, d’une rare force de caractère, très rapide dans ses décisions, quoique très réfléchi ; d’une bravoure superbe au feu, et d’un sang-froid à toutes épreuves, il savait entraîner les troupes d’une façon irrésistible, et son cri : « En avant ! » avait une sonorité qui exaltait les cœurs.

Bazaine se montre, ce jour-là, digne de commander à de tels chefs et à de telles troupes. A-t-il commis des erreurs tactiques ? A-t-il négligé certaines de ces règles pratiques que nos théoriciens modernes croient avoir inventées et qui existaient déjà ? Qu’est-ce que cela prouverait ? Napoléon lui-même n’a-t-il pas commis des fautes de tactique ? Bazaine, le 16 août, a déployé les trois qualités essentielles à un chef d’armée : l’imperturbabilité, l’activité, la résolution. Il a été imperturbable, faisant mieux que braver le péril, ne l’apercevant même pas, se décidant sous les balles aussi tranquillement que s’il eût été