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et le félicite de son initiative titanesque qui a obtenu tout ce qu’il était possible de tirer de la situation. Il demande : « Mais qu’arrivera-t-il demain en présence des forces supérieures que nous venons de constater ? » Alvensleben répond qu’après les pertes qu’ils ont subies, les Français entreprendront difficilement une attaque le lendemain ; il a pris ses mesures pour refaire les troupes et les ravitailler.

Il y eut encore jusqu’à dix heures du soir quelques fusillades de-ci de-là, mais la bataille véritable était finie à huit heures et demie. L’ombre s’épaississait ; les étoiles impassibles éclairaient à peine de leur clignotement railleur ce champ de désolation, immense pour nous, fourmilière invisible pour elles, et la psalmodie des oiseaux de la mort couvrait de son rythme lugubre la plainte étouffée des moribonds. 834 officiers, 12 927 hommes pour l’armée du Rhin, 711 officiers, 15 079 hommes allemands étaient restés sur le terrain ensanglanté. À la vue de tant de cadavres, Alvensleben ému s’écria : « Dieu nous pardonne ! nous n’avons pensé qu’à l’avenir et non à ceux qui gisent sur la terre. » Le lendemain, il confessait à un officier qu’il se sentait trop vieux pour supporter la vue de tant de misères.


X

On ne saurait trop louer les officiers prussiens de hauts et bas grades, le prince Frédéric-Charles, Stülpnagel, Buddenbrock, Bulow, Caprivi, etc. Seul Rheinbaben paraît avoir été mou, malaisé à se remuer et à se décider. Mais Alvensleben s’élève au-dessus de tous. Cette bataille ne devrait pas être appelée celle de Rezonville ou de Vionville, mais celle d’Alvensleben, ou mieux celle de la volonté. Depuis notre à jamais illustre Pélissier à Sébastopol, nul chef d’armée n’a été doué à un tel degré de cette qualité transcendante qui fait les grands hommes à la guerre comme ailleurs. Ses vertus privées ajoutaient à son héroïsme : il était bon, modeste, désintéressé même de la gloire ; il avait la passion de la responsabilité, parce que c’était celle du devoir. Envers ses inférieurs, toujours de la plus grande douceur, il se montrait parfois ombrageux vis-à-vis de ses supérieurs : il ne supportait point, par exemple, qu’on lui indiquât l’endroit où il devait établir son quartier général ; ses chefs