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combat, celui qui domine le champ de bataille, qui peut, accru de Le Bœuf et de Canrobert, foncer sur les Prussiens mal engagés, décousus, celui qui est à ce moment le maître de la journée, Ladmirault se repose.


IX

Dès que notre droite s’était retirée du combat, la bataille était, en réalité, terminée. Cependant le prince Frédéric-Charles ne se résigne pas. « On n’est vaincu, dit-il à Stülpnagel, que quand on veut l’être, et je ne veux pas permettre à Bazaine de se déclarer vainqueur. Soyons plus fermes que lui ; en avant ! »

Il ramasse de tous les côtés, à droite, à gauche, au centre, tout ce qui est encore capable de se tenir debout et de se mouvoir, infanterie, cavalerie, partie de l’artillerie de l’aile droite du Xe corps, quelques fractions de son infanterie, la division Buddenbrok, la division de cavalerie Mecklembourg, dix batteries du 35e et du 20e régiment d’infanterie, les deux brigades de la VIe division de cavalerie, la brigade Grutter, la brigade Schmidt. Il les précipite tous dans une dernière chevauchée de la mort, et les batteries allemandes arrivent jusqu’à cette hauteur Sud de Rezonville qu’on s’était tant disputée. Mais cinquante-quatre pièces de notre Garde impériale prennent ces batteries en flanc. Nos grenadiers, nos voltigeurs, les zouaves de la Garde soutiennent en le prolongeant le feu de nos canons. Tout plie, tout rompt, tout fuit devant eux. Cette fois, la journée est vraiment finie et elle laisse l’armée allemande dans un état lamentable, les forces épuisées, les troupes presque sans munitions, les chevaux qui n’avaient pas été dessellés de quinze heures n’ayant, durant ce temps, rien mangé ; une partie des batteries ne pouvait plus s’avancer qu’au pas[1].

Frédéric-Charles a eu beau faire, il ne s’est pas constitué le vainqueur de la journée. Pourtant il n’en est pas non plus le vaincu, car, malgré leur épuisement, le IIIe et le Xe corps occupent les positions sur lesquelles nous étions le matin : Flavigny, Vionville, les bois de Tronville, nos points d’appui du début. A huit heures et demie, Frédéric-Charles rejoint Alvensleben

  1. Mémoires du maréchal Moltke, p. 59.