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mettre en position ses autres batteries disponibles. Il rappela rapidement sur le plateau Montaudon et lui adjoignit une partie des deux divisions reformées du corps d’armée Frossard. Dans la lutte acharnée qui s’ensuivit alors, notre artillerie eut une action plus efficace qu’elle ne l’avait encore eue. N’ayant plus à affronter que des batteries divisionnaires mobiles, qui précédaient ou accompagnaient l’infanterie ennemie, elle retrouva tous ses moyens dans le corps-à-corps[1].

Ses canons et ses mitrailleuses écrasèrent sans relâche les têtes de colonnes ennemies renouvelées[2], et les troupes de secours furent aussi maltraitées que celles qu’elles venaient secourir. ! L’attaque allemande ne parut réussir un instant que pour être plus terriblement refoulée. L’intrépide Lapasset fait des prodiges ; la Garde, grenadiers et zouaves, sont dignes d’eux-mêmes ; Montaudon met en fuite la division du prince de Hesse.

Mais, après tant d’heures d’efforts et tant de sacrifices, la situation réciproque ne s’était pas modifiée ; elle restait ce qu’elle était aux premiers engagemens. Aucun des deux adversaires n’avait écrasé l’autre et passé sur son corps. Le va-et-vient sanglant de l’offensive et de la défensive se poursuivait sans amener de résultat final. C’était toujours de notre droite que devait venir la solution. Un moment, Bazaine espéra qu’elle allait se produire. Le commandant Berge, revenu de sa mission, lui avait annoncé qu’il venait de laisser Cissey en train de victoire[3], mais aucun message de Ladmirault n’a confirmé cet heureux pronostic. Il n’annonce pas qu’il s’avance, il ne fait pas savoir qu’il recule ; on ne peut pas dire : « Ladmirault est victorieux. » On en est réduit à dire : « Pourvu que Ladmirault soit victorieux ! » Pendant que le champ de bataille est en feu, que balles, boulets, obus font rage, que chacun tire de soi ce qui lui reste d’énergie, que la lutte prend un caractère de frénésie désespérée, que Prussiens et Français rivalisent d’ardeur dans ce sacrifice de leur vie à la patrie, qu’Alvensleben et Bazaine animent leurs troupes par leur présence et leur exemple, relevant et exaltant les courages, pendant cette heure critique qui précède le moment où l’obscurité de la nuit va interrompre le

  1. Derrécagaix, Guerre de 1870, p. 170.
  2. Journal des opérations du général Soleille. Historique de la 8e batterie du 4e régiment d’artillerie, Indivision, 3e corps d’armée, p. 236.
  3. Lettre du général Berge, La Malle, 23 juillet 1912.