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Mais ceux qui avaient entraîné les héros du Ravin de la Cuve ont pensé que leurs hommes n’étaient ni exténués, ni en état de dissolution et que ce dernier effort, qu’ils désiraient accomplir, n’était pas au-dessus de leurs forces.

« Nos troupes, m’a écrit un des survivans les plus héroïques de ce beau fait d’armes, le général Garcin, chef d’état-major de Cissey, officier de haute valeur, étaient fatiguées assurément, après la succession d’efforts quasi surhumains qu’elles venaient de fournir ; elles n’étaient pas désorganisées. Dans leur enthousiasme, elles acclamaient leurs vaillans chefs, qui les avaient conduites à la victoire. Après s’être rapidement reprises, après avoir soufflé, malgré la nuit qui approchait, elles auraient encore été capables de pousser jusqu’à Mars-la-Tour, que nos tirailleurs abordaient[1]. »

Un de nos brillans et nobles généraux, le général des Garets, alors jeune officier, qui fut blessé ce jour-là, m’écrit aussi : « Après la mêlée furieuse, tout ce qui était sorti intact se calma, se reprit et se rassembla sur ce terrain où venait de disparaître le Xe corps allemand. Tous les soldats s’étaient ralliés auprès de leurs chefs restés debout. Ils reformaient d’eux-mêmes leurs rangs fort éclaircis, et, inspirés par la clarté de la situation qui aveuglait les moins clairvoyans, suppliaient leurs officiers de les mener en avant compléter la victoire[2]. » La vigueur avec laquelle nos soldats venaient de mettre en déroute l’attaque allemande prouve la vérité de ce témoignage.

« Tous, dit le colonel Courson de la Villeneuve, jusqu’au dernier sous-lieutenant, jusqu’aux soldats, tous avaient éprouvé un sentiment de tristesse profonde quand, tenant la victoire dans les mains, ils avaient vu qu’on leur donnait l’ordre de battre en retraite, alors que, sur les petites cartes, chacun voyait Frédéric-Charles avec la Moselle à dos, la place de Metz sur son flanc droit et nous sur ses derrières... Ici, il suffisait d’avoir un peu plus confiance dans le soldat, qui aurait gagné tout seul la bataille si on l’avait laissé faire ! » « Ah ! s’écrie encore le général Garcin, il eût fallu faire occuper tout de suite Mars-la-Tour, avec tout le 4e corps et une réserve ; nous aurions ainsi intercepté la route de Paris et empêché les Allemands de

  1. Le général Garcin à Emile Ollivier, 3 août 1912.
  2. Lettre à Emile Ollivier.