Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/750

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le versant Nord du ravin, sont reçus par une fusillade à bout portant. Ils sont repoussés, presque anéantis ; leurs débris se laissent glisser au fond du ravin, mais, épuisés par une marche de 45 kilomètres, ils n’ont plus la force de gravir l’autre versant et ils se jettent à genoux devant nos soldats, demandant grâce de la vie. Ceux auxquels il reste encore quelque vigueur remontent précipitamment comme frappés de folie et s’enfuient vers Mars-la-Tour. 72 officiers sur 95 étaient tués ; 2 542 hommes sur 4 546 jonchaient de leurs cadavres le fond du ravin, et nous avions pris 350 prisonniers et un drapeau[1].

A la vue de cette catastrophe, Voigts-Rhetz s’écrie : « Il faut que la cavalerie attaque coûte que coûte. » Sans désemparer, des officiers sont envoyés à toute allure aux généraux Rheinbaben et Brandenbourg. Trois escadrons de dragons chargent le flanc droit des troupes de Cissey, qui se reprenaient a peine de la confusion causée par leur victoire ; ils les mettent en désarroi, mais nos soldats retrouvent vite leur sang-froid, se reforment rapidement, se groupent, ouvrent leurs rangs, laissent passer les dragons prussiens, puis les fusillent de face, en flanc, à revers, et tout ce qui n’est pas détruit par le feu est fait prisonnier. Sur 20 officiers, 16 avaient été tués (6 h. 45).

Ladmirault, en revenant vers ses troupes du poste d’observation d’où il avait assisté au tournoi de Ville-sur-Yron, avait été bien surpris en apprenant qu’une offensive heureuse venait de se produire à son insu. Il l’aurait empêchée s’il l’avait prévue, car elle contrariait sa résolution de s’en tenir à une défensive expectante. Le général de Cissey, qui partageait l’ardeur de ses soldats, chargea le capitaine Garcin d’aller exposer à son chef sa situation si avantageuse et de lui demander avec instance de l’aider à garder le terrain gagné en occupant Mars-la-Tour, et de donner le coup de grâce à un ennemi déjà battu. Cette demande importuna Ladmirault ; il ne veut point qu’on marche en avant, et il ordonne de repasser le Ravin de la Cuve, franchi quelques instans auparavant en trombe victorieuse.

On a dit que, dans l’état d’épuisement, d’éparpillement, presque de dissolution où elles se trouvaient, nos troupes n’étaient plus en état de fournir un nouvel effort. Ladmirault ne pouvait en juger puisqu’il ne s’était point rendu sur le champ de bataille.

  1. Souvenirs inédits du général de Cissey : Metz t. II, p. 547.