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Narp qui commande mon artillerie ; vous la conduirez à un endroit convenable. C’est parce que j’ai confiance en vous. Mais n’allez pas me la faire prendre. Souvenez-vous qu’il s’écoulera vingt à vingt-cinq minutes avant que j’arrive pour vous soutenir. »

Berge conduisit Narp vis-à-vis de Vionville, à un endroit d’où se voyait bien le village. Narp plaça ses batteries, ouvrit le feu. — Les Allemands, maîtres de Vionville, voyant une artillerie isolée, très rapprochée, se préparèrent à l’enlever. Quand ils eurent, à l’abri du village, pris une formation compacte, ils descendirent dans le ravin auquel ce village est adossé, leurs hommes se faufilant entre les branches et les épines. Mais là ils se trouvèrent en face des premiers bataillons de la division Cissey, qui, déjà, se déployait à droite des batteries et sur le bord du ravin. Leur masse compacte, formant cible, fut accueillie par une fusillade meurtrière dont l’intensité augmentait de minute en minute par l’entrée en ligne de nos compagnies successives. Ils n’enlevèrent point les batteries, et le petit nombre de ceux qui échappèrent à nos feux se réfugia en désordre derrière Vionville. Quand Berge vit l’affaire ainsi engagée, il dit à Cissey : — « Mon général, dans une demi-heure, vous aurez occupé Vionville. Je vous demande la permission de vous quitter pour aller rassurer le maréchal Bazaine. — Allez, répondit Cissey, et dites au maréchal que Lorencez me suit. Je m’entendrai avec lui pour qu’il me déborde par ma droite et se rabatte sur la gauche des Prussiens[1]. »

La demi-heure fut plus longue que ne l’avait cru Berge. Cissey ne put reprendre Vionville. La brigade allemande Wedell avait réussi à franchir l’espace découvert qui la séparait du ravin et en avait gravi les pentes Nord. Sous son attaque impétueuse, notre artillerie avait été obligée de reculer. Le général Brayer était tué, Cissey renversé de cheval. Cissey se relève vivement, saute sur la monture de son aide.de camp, Garcin, et crie à ses troupes : En avant I II les enflamme, les enlève ; une batterie de mitrailleuses, placée en bonne position, seconde le feu de nos chassepots, et nos troupes, poussées, par l’exemple de leur chef, à un état d’exaltation extraordinaire, redeviennent irrésistibles. Les deux régimens westphaliens, qui avaient gravi

  1. Lettre du général Berge à Emile Ollivier.