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sur l’autre, se ruant dans une mêlée confuse au milieu des cris, des coups de fusil, tirés comme au hasard, sans ordre, ni direction. On eût dit un de ces combats antiques dans lesquels on s’abordait corps à corps. Le général Legrand est tué, le général de Montaigu blessé, désarçonné, fait prisonnier. Cette mêlée eût pu durer indéfiniment sans résultat, lorsque, de notre côté, une sonnerie de ralliement attribuée au général de France se fit entendre. Nos cavaliers se dégagèrent, se reformèrent sur la ferme Gréyère et ne furent point poursuivis ; les escadrons allemands, exténués autant que les nôtres, dans un complet désordre, se replièrent sur Ville-sur-Yron, puis sur Mars-la-Tour. « On s’était bousculé, sabré inutilement. L’action de la cavalerie, latérale au combat, a été un épisode dramatique de la bataille, mais n’a eu aucune influence sur l’issue de la journée[1]. »

Il n’eût cependant tenu qu’au général de Clérembault qu’il en advînt autrement. Sa division était restée impassible à Bruville, à la distance de 2 kilomètres, c’est-à-dire un temps de galop de quelques minutes. Si ses seize escadrons compacts étaient tombés en ordre sur le flanc de la retraite allemande, regagnant en hâte les hauteurs de Mars-la-Tour, ils eussent changé cette rencontre indécise en un éclatant succès qui eût marqué dans les annales de la cavalerie : « Pourquoi, demanda Le Bœuf à Clérembault, ne vous êtes-vous pas jeté en avant ? — Je n’avais pas d’ordres. » Pauvre réponse i Dans les affaires de cavalerie, la résolution devant être immédiate, qui attend les ordres n’est pas un cavalier. Ni Kellermann, ni Lasalle, ni Murat ne les attendaient ; c’est l’occasion qui les leur donnait et ils la saisissaient au vol. Clérembault finit par comprendre que son inaction était intempestive. Il alla demander à Ladmirault les ordres qui lui faisaient défaut : « Mon général, faut-il charger ? — C’est trop tard, » répond Ladmirault. Et Clérembault n’arriva en effet sur le champ de bataille que pour ramasser les fugitifs et les morts[2].)

  1. Lettre du général Du Barail à Emile Ollivier, 13 janvier 1891.
  2. « Nous assistions en simples spectateurs à la mêlée et au combat de 6 000 cavaliers. Rien ne nous retenait et cependant nous restions cloués au sol au lieu de voler à l’aide de nos camarades. Il y avait 2 kilomètres à faire pour arriver, c’est-à-dire un temps de galop de cinq minutes. A défaut d’ordres qui n’arrivaient point, pas la moindre initiative. Cependant nous étions absolument inutiles là où notre mauvaise fortune nous avait placés et les événemens nous criaient qu’il fallait marcher. » (Général Cuny.)