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côtés, fut égale la sublimité héroïque, et, des deux côtés, l’impuissance de la pousser en une de ces offensives triomphantes qui chassent tout devant elles. Des deux côtés, la bataille prenait successivement l’aspect d’une défaite, puis d’une victoire.

Les troupes de Frossard fondaient de plus en plus ; Bataille avait déjà disparu du combat ; la division Vergé, soutenue par la division Lafont de Villiers et les élémens de la division Levassor-Sorval (onze bataillons envoyés par Bazaine), tient un peu plus longtemps, mais elle se retire à son tour du combat (2 heures). Seule, la brigade Lapasset garde ses excellentes positions : les officiers s’étaient engagés par serment à ne pas les abandonner et ils y demeurèrent jusqu’à la fin de la journée. Le 2e corps, qui avait perdu 5 200 hommes, disparut tout entier. Sa place ne pouvait rester vide : c’eût été la route ouverte à l’assaillant. Bazaine y plaça les grenadiers de la Garde. Mais très éprouvés par le feu des batteries qui les prenait à revers, il fallut remplacer bientôt, au prix de nouvelles pertes, leurs lignes défaillantes. Cette accumulation de troupes sur une position insuffisamment couverte n’était pas inutile ; sans ces troupes de remplacement, l’ennemi aurait eu le chemin libre, mais remplaçans comme remplacés passent par les mêmes alternatives, et la situation restait toujours tellement exposée que Bazaine ne pouvait pas cesser de faire de la gauche l’objet de sa préoccupation. C’est au prix de l’énergie avec laquelle fut arrêté de ce côté l’élan désespéré des Allemands qu’il assura à notre droite une liberté d’action dont elle ne sut point profiter.

Toutefois, la situation d’Alvensleben devenait encore pire que la nôtre. Son infanterie n’était plus qu’une ligne sans profondeur le long des rebords du plateau ; privée de réserves, toutes les unités mêlées ; beaucoup manquaient d’officiers, les munitions de l’artillerie étaient épuisées ; les chevaux des pièces tombaient ; les pièces devaient être poussées à bras d’hommes. L’artillerie de la division Canrobert et nos mitrailleuses, tirant à bonne distance, lui avaient fait subir des pertes cruelles, et Canrobert paraissait vouloir s’avancer sur Vionville avec tout son corps d’armée. Alvensleben était à bout. Il eut recours, lui aussi, à la ressource de la désespérance, la charge de cavalerie. Cette cavalerie était très diminuée : la division Mecklembourg avait disparu, celle de Rheinbaben était dispersée ; la brigade Redern venait de se faire fusiller par notre infanterie ; il ne restait que