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propres forces, n’obtienne pas un succès, qui sera certain s’il est poursuivi à la fois par Ladmirault et par lui : toutes les attaques de ce genre, entreprises par des fractions de Canrobert, ont échoué déjà ; il ne doit pas s’exposer à un sort pareil. En conséquence, il envoie à Le Bœuf l’ordre de s’arrêter et de ne commencer son mouvement que lorsque Ladmirault aura commencé le sien : ce n’était pas un contre-ordre, ce n’était que le rappel à un ordre mal compris. Changarnier, que Le Bœuf avait recueilli dans son état-major, survient : « Quel malheur, dit-il à Bazaine, que vous n’ayez pas poussé à bout notre mouvement par notre droite pour les rejeter dans le ravin de Gorzel — C’est ce qui va se faire, répond Bazaine, mais il faut attendre Ladmirault. » Le commandant Roussel apporte également le conseil de Canrobert de prescrire le mouvement offensif de l’aile droite. Bazaine répond qu’il l’a déjà ordonné, et Canrobert, très préoccupé du succès de la manœuvre, envoie Roussel rapporter à Le Bœuf ce que Bazaine vient de lui répondre.

Ainsi les avertissemens ne manqueront pas à la droite. Tranquille de ce côté, Bazaine se donne tout entier à la direction du combat à sa gauche où sa présence lui paraît de plus en plus nécessaire. C’est encore une manière de contribuer à l’action décisive de la droite, puisqu’en retenant l’ennemi vers Rezonville, il assure la liberté de notre initiative vers Mars-la-Tour.


IV

A notre gauche, la physionomie du combat n’était pas modifiée. « Des deux côtés, on prenait l’offensive, a dit Moltke, et des deux côtés, cette offensive s’annulait et était contrainte à revenir à la défensive. » Quand c’était le moment du canon, les nôtres se couchaient ou reculaient en désordre ; quand c’était le moment du chassepot, les Prussiens jonchaient le sol ou allaient se cacher derrière les massifs d’arbres. Et cela recommença ainsi pendant toute la bataille. Changez le nom des brigades, des régimens, que ce soit Frossard ou le 9e corps d’armée ou la Garde française, la Ve ou la VIe division prussienne, c’est toujours la même alternative. Les Allemands ne réussirent pas plus à enlever le plateau que nous à les culbuter dans le ravin. Nous les maintenions et eux-mêmes nous maintenaient. Des deux