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allemande et de la rejeter dans la Moselle. Il sera l’aile marchante et vous le pivot. Tenez vos troupes prêtes à le seconder. » Pensant qu’il a suffisamment défini la tâche réservée à sa droite, il reprend la route de son quartier général. Il rencontre la division Aymard. Les hommes sont fatigués et pesans. Bazaine fait jouer toutes les sonneries et encourage la tête de colonne, « Allons, mes enfans, ça va marcher[1]. »

Sa disparition avait mis tout le quartier général en émoi. On l’appela, on le chercha, on l’attendit. Avait-il été tué ou fait prisonnier ? Que va devenir cette armée sans chef au milieu de l’action si vive, dont il tient les fils ? Un officier d’état-major, d’Andlau, court vers Canrobert : il est le plus ancien, il faut qu’il prenne le commandement. Canrobert ne s’en soucie pas, fait des objections. Un autre officier va vers Bourbaki, qui accepte. De lui-même, poussé par la seule évidence, voyant ce qui était visible pour tous, qu’on ne viendrait à bout de l’attaque acharnée sur notre gauche qu’en lançant notre droite à fond de train sur la gauche prussienne, Bourbaki envoie lui aussi le capitaine Hue porter à Ladmirault un ordre identique à celui que Bazaine avait confié à Berge et porté à Le Bœuf.

Mais Le Bœuf ne paraît pas avoir bien compris, car, à peine revenu à son quartier général, Bazaine apprend que le 3e corps d’armée va se mettre en mouvement avant que Ladmirault ait commencé sa marche. Cela l’inquiète. Plus il attache d’importance à cette attaque de son aile droite, plus il tient à ce qu’elle ne soit pas compromise. Il craint que Le Bœuf, réduit à ses

  1. On trouve dans le premier rapport de Bazaine à l’Empereur daté de onze heures du soir la confirmation des ordres qui précèdent : « Ce n’est que dans l’après-midi que le maréchal Le Bœuf et le général Ladmirault ont pu arriver sur le terrain d’action en opérant par mes ordres un mouvement tournant sur la gauche de l’ennemi qui a été obligé de se replier sur la droite. » Le général Soleille dans son rapport confirme les instructions à Le Bœuf : « Le 3e corps était établi le 15 au soir à Saint-Marcel, le 4e corps, attardé par la lenteur du passage de la Moselle, ne quitta Woippy que le 16 à cinq heures du matin. Ces deux corps devaient se rabattre vers Mars-la-Tour, contenir et tourner l’aile gauche de l’ennemi. » (Journal des Opérations du général Soleille, 16 août). D’Andlau, dans son livre, Metz, Campagne et Négociations, si défavorable à Bazaine, constate aussi ce fait en ce moment hors de doute. « Il s’était porté jusqu’auprès du maréchal Le Bœuf, avec lequel il s’était concerté : il avait envoyé des instructions au général Ladmirault (Metz, Campagne et Négociations, p. 72, 1871, Dumaine). Bazaine, dans son mémoire explicatif devant le conseil d’enquête, répète ces assertions : « J’indiquai au maréchal Le Bœuf la direction de Mars-la-Tour comme objectif, les 3e et 4e corps devant exécuter une conversion, l’aile droite en avant, afin de refouler les Allemands dans les défilés de Gorze, Chambley, enfin dans la vallée de la Moselle. »