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Bataille sont blessés, Frossard a un cheval tué sous lui, le IIe corps d’armée se désorganise de plus en plus. La division Bataille disparaît la première. Frossard demande à Bazaine de recourir à la ressource de la désespérance, la charge de cavalerie. Le général Desvaux, de la Garde, trouve le moment mal choisi ; Frossard insiste ; Bazaine consent et fait charger les lanciers, puis les cuirassiers de la Garde. Les lanciers fléchissent, les cuirassiers sont vigoureux, mais les uns et les autres sont également écrasés par les feux à bout portant de l’infanterie prussienne, et ils reculent, ayant subi des pertes cruelles, sans que leur intervention ait été d’aucun secours à Frossard.

Des hussards allemands, suivant nos hommes en retraite, arrivent jusqu’au quartier même de Frossard. Bazaine est entouré, cerné, mais non reconnu ; il est obligé de mettre l’épée à la main ; il réussit à se dégager et il s’éloigne d’une telle vitesse, que bientôt il est séparé de son état-major, de ses officiers et se trouve seul avec son porte-fanion (midi et demi). Il vient d’avoir la démonstration dramatique de la nécessité d’une action prompte de la droite. Aucun de ses officiers envoyé vers Ladmirault n’est de retour ; il ignore où en est Le Bœuf. Frossard tient encore ; au pis aller, Canrobert et la Garde sont en mesure de le recueillir et de le remplacer ; il croit donc avoir le temps d’opérer une reconnaissance personnelle, et il se dirige au trot allongé vers Canrobert et Le Bœuf. En route, il rencontre un jeune officier d’artillerie, déjà en renom dans son corps, qui, depuis, a acquis une grande autorité dans toute l’armée, le commandant Berge, qu’il avait eu à ses côtés à San-Lorenzo. Il l’arrête, lui ordonne de le suivre. Au bout d’une heure, il lui dit : « Je suis inquiet de ma droite. Je ne sais pas ce que fait Ladmirault. J’ai envoyé des officiers à sa recherche, ils ne reviennent pas. Vous êtes bien monté. Filez sur la route de Verdun. Ramenez ce que vous pourrez du 4e corps. Vous connaissez la situation, vous les guiderez[1]. »

Berge partit à grande allure et Bazaine se dirigea vers Le Bœuf. Il le trouve lisant une carte : « Mon cher ami, lui dit-il, ce n’est pas le moment de lire une carte. Ladmirault doit être à Doncourt, ou va y arriver ; il opérera une conversion, l’aile droite en avant, et tentera d’envelopper la gauche

  1. Lettre du général Berge, 12 janvier 1912.