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changé tout le caractère de la lutte. Il n’y songea pas. Sur tous ces points, le combat s’engage ardemment et, à ce premier moment, tourne partout à notre avantage. L’infanterie allemande, qui a commencé son feu en se dérobant derrière des abris, en sort aussitôt qu’elle nous voit. Elle arrive à portée de nos canons, de nos mitrailleuses et de nos chassepots. Alors, nos soldats se dégagent de leurs lignes un peu denses de formation et s’élancent ; les mitrailleuses crépitent, les chassepots font fureur ; ils abattent non seulement les premières lignes, mais atteignent encore la seconde ligne et les réserves ; les Allemands, en désordre, regagnent leurs abris, laissant le champ de bataille jonché de morts et de blessés.

Mais la physionomie et les péripéties du combat se modifient tout à coup à notre désavantage, du moment que l’artillerie prussienne a installé ses soixante canons en batteries fixes et mobiles sur les hauteurs de la Vierge et de Tronville. La ligne de bataille des Allemands décrit autour de nous un immense arc de cercle dont les extrémités et le centre étaient protégés par de puissantes batteries reliées entre elles par des batteries mobiles. L’élan impétueux de notre offensive est contenu, repoussé, brisé.

Est-ce parce qu’il a été mal préparé ? Nos généraux de ce temps savaient, aussi bien que leurs censeurs systématiques, qu’une attaque offensive doit se préparer par l’action de l’artillerie, qui concentre ses feux sur la position à enlever et qu’on ne lance l’infanterie que lorsqu’on suppose l’adversaire ébranlé. Vergé et Bataille, les premiers engagés, s’étaient conformés à cette règle. Ils avaient mis leur artillerie enjeu avant de pousser leur infanterie. Mais les batteries prussiennes des hauteurs dirigeaient sur nous un feu convergent très nourri, d’une effrayante précision ; nos canons d’une portée moindre ne ripostaient pas avec succès, leurs obus n’atteignaient pas les canons ennemis, leur tir était mal réglé par nos fusées fusantes. Ils furent saccagés, démontés et n’eurent que le temps d’aller chercher en arrière, soit un abri, soit leurs réserves d’approvisionnemens. Les fantassins, livrés à eux-mêmes, ne rétrogradent pas ; ils mettent en déroute l’infanterie ennemie encore à leur portée. Mais, dès qu’ils tentent d’aborder la position, l’artillerie prussienne, concentrant ses feux convergens, les laboure, les écrase, trace dans leurs rangs de longs sillons ensanglantés. Ils s’arrêtent,