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victoire de cavalerie, plus facile encore que celle que venait de laisser échapper Forton. Le chef allemand ne se montra pas plus audacieux que ne l’avait été le chef français. Il nous donne le temps de nous ressaisir ; il ne nous enlève pas et ne pousse pas ses avantages à fond. Nos troupes débandées se retrouvent bientôt ; le sang-froid des officiers, la ferme attitude de quelques fractions ont rétabli l’ordre. L’infanterie de Vergé, de Bataille, rejoint ses faisceaux et commence une action vigoureuse. La brigade Mangin sonne la charge, bondit, couvre de balles l’artillerie prussienne privée de soutien et lui fait subir de telles pertes en hommes et en chevaux que cinq batteries sur huit sont forcées de se replier. Cette double intervention de la cavalerie allemande n’avait eu que le résultat de nous tirer de notre quiétude et de nous avertir que les Prussiens étaient là. Alvensleben en est désolé. « Ce que les Français, dit-il, n’avaient pu apprendre par leurs patrouilles, ils l’apprenaient par notre sottise. »

Alvensleben, cependant, n’était pas sans avoir profité lui aussi de cet avertissement : il nous avait mis sur nos gardes, mais notre résistance lui avait appris qu’il avait devant lui des forces considérables. Il s’en rend compte encore mieux quand il monte sur ces hauteurs de la Vierge que, la veille, Bataille avait refusé d’occuper et d’où il domine tout le plateau. En descendant il rencontre Rheinbaben qui lui dit : « Je ne sais si je suis plus bête que le commun des mortels, mais j’ai toujours prétendu que nous avions en face de nous toute l’armée française ; maintenant j’en suis sûr[1]. — Et moi aussi, » répond Alvensleben.

Voilà Alvensleben arrivé à ce moment solennel où un homme de guerre est obligé en quelques minutes d’opter entre deux périls et d’encourir la responsabilité redoutable d’un choix d’où dépendra le salut ou la perte de son armée : la prudence conseille de ne pas affronter une lutte inégale et de revenir sur la Moselle ; mais se retirer, c’est s’infliger à soi-même la défaite ; mieux vaut risquer que l’ennemi vous l’impose, qui sait les hasards qu’amènera la bataille ? La défaite même ne serait pas sans profit : elle retarderait, pour un temps, la marche de l’armée française sur Verdun. Le Xe corps voudra-t-il ou pourra-t-il venir au secours ? Dans tous les cas il le recueillera, s’il est obligé de

  1. Picard, p. 23.