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helvétique n’a certainement pas été flatté de la naïveté qu’on lui prêtait : il se doutait bien qu’il ne pouvait sortir rien de bon de la Conférence projetée et que, s’il n’en sortait rien de mauvais, le résultat pourrait être considéré comme un succès. Quoi qu’il en soit, nos parlementaires sont allés à Berne en grande abondance et ils ont été frappés, en y arrivant, de la disette des parlementaires allemands, qui étaient à peu près tous des socialistes. Bien que les nôtres fussent d’opinions plus variées, il a été bientôt évident que l’impulsion à laquelle ils obéissaient machinalement était socialiste aussi et que M. Jaurès était le deus ex machina de toute l’affaire. Nous attachons trop peu d’importance à la Conférence de Berne prise en elle-même pour nous attarder à parler de ses travaux : au surplus, ils ont été fort courts. On s’est contenté, ou peu s’en faut, de voter une résolution qui aurait été supérieurement banale, s’il n’y avait pas été question de l’Alsace-Lorraine. Lorsqu’ils en ont entendu la lecture, quelques parlementaires français, — c’est une justice à leur rendre, — ont sursauté. S’ils étaient venus à Berne, c’était sur l’assurance formelle que pas un mot ne serait dit de nos provinces perdues : ils estimaient à la fois inconvenant et dangereux, n’ayant aucun titre pour cela, de traiter de l’Alsace-Lorraine avec des Allemands qui n’en avaient pas davantage. Quelle n’a pas été leur surprise lorsqu’ils ont vu que les sermens les plus sacrés étaient violés ! Ils ont protesté, pas assez fortement à notre gré, mais enfin ils l’ont fait. La résolution soumise au vote de la Conférence faisait allusion à un vœu émis par la Chambre alsacienne en vue d’éviter la guerre entre deux grands pays et d’obtenir l’autonomie : on sait que tel est aujourd’hui le desideratum de nos anciens et toujours très chers compatriotes. Il est à remarquer — car le fait est remarquable — que les socialistes allemands se sont d’abord opposés à l’adjonction du paragraphe relatif à l’Alsace-Lorraine : ils n’ont cédé que devant l’insistance des socialistes français. Ceux-ci ont cru faire merveille en renonçant à l’Alsace-Lorraine par prétérition et en recommandant au gouvernement allemand une solution qui mettrait tout le monde d’accord. Ils étaient allés à Berne pour amener un rapprochement entre les deux pays : — Quoi de plus simple ? ont-ils dit ; donnez l’autonomie à l’Alsace-Lorraine qui la désire et n’en parlons plus. — Mais ils en avaient déjà trop parlé et nous avons pu apprécier une fois de plus la sage recommandation de Gambetta : y penser toujours, n’en parler jamais.

L’indiscrétion de la Conférence, qui a produit un pénible effet en France, n’en a pas produit un meilleur en Allemagne : on y a trouvé