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que nos révolutionnaires et nos démagogues ont si outrageusement attaquée, n’a jamais donné que des exemples de soumission aux lois, de respect de la vie civile et, pour dire le mot juste, de parfaite abnégation. En sera-t-il toujours de même ? On nous avait assuré que, plus l’armée serait démocratisée, plus elle serait bonne citoyenne, comme sous la grande Révolution où on rappelle avec raison qu’elle a été admirable sur les champs de bataille, mais où on oublie trop qu’elle a pris part à tous les coups d’État. Gardons-nous d’insister ; ce serait donner au mal plus de gravité qu’il n’en a encore ; mais qui ne serait ému de ces premiers symptômes d’indiscipline que l’armée d’hier n’avait pas connus, en dépit de beaucoup d’épreuves pénibles qu’elle a subies, et dont celle d’aujourd’hui nous donne le spectacle et la leçon ? Souhaitons du moins que celle-ci soit profitable. Nous savons où est la source du mal : le frappera-t-on là ? Si on le fait, tout pourra être arrêté. Si on ne le fait pas, si on recule effrayé devant les organisations révolutionnaires qui se croient tout permis parce qu’on leur permet tout, les prétendus remèdes qu’on appliquera ne seront que des palliatifs : leur effet ne durera qu’un jour.

Il fallait s’attendre à ce que les mutineries de Toul, de Belfort, etc., produisissent des impressions diverses en dehors de nos frontières, et c’est ce qui n’a pas manqué d’arriver. Dans la plupart des pays, on les a jugés comme ils devaient l’être, c’est-à-dire que, sans en contester l’importance, on ne l’a pas grossie plus qu’il ne convenait. Avons-nous besoin de dire qu’un sentiment beaucoup moins bienveillant, beaucoup moins juste aussi, s’est manifesté au delà de nos frontières du Nord-Est ? Lorsque les nouvelles y arrivent, elles sont aussitôt exagérées, déformées, répandues à la hâte et à profusion, et quoi de plus naturel ? Il y aurait de notre part quelque simplicité à nous en plaindre, mais il nous est permis de le déplorer. L’excitation de l’opinion en Allemagne et en France est en ce moment un sérieux motif d’inquiétude, et tout ce qui l’augmente est l’objet de nos regrets. Tantôt, en Allemagne, on présente la France comme belliqueuse et chauvine ; on l’a fait officiellement jusqu’à la tribune du Reichstag. Tantôt on la dénonce comme un réceptacle d’anarchie, par conséquent d’impuissance, et alors, la presse allemande se complaît dans l’expression d’une ironie mêlée de mépris. Il y a quelques mois, la nation française était apparue sous un aspect nouveau et imprévu : elle avait comparé à la sienne la force militaire si formidablement accrue que l’Allemagne s’apprêtait à se donner et, de cette comparaison, était née chez elle la volonté de rétablir entre les deux armées l’équilibre