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examinent aujourd’hui, avec leur loupe magique, cette chose en apparence si simple qu’on appelle un corps pesant et inerte, ils découvrent que ce n’est là qu’une vaine apparence, que la masse et l’inertie, ces attributs jadis intangibles de la matière, n’existent pas, sont seulement des mots derrière lesquels il n’y a pas autre chose que notre ignorance, et que les atomes des corps matériels ne sont que des trous dans l’éther, c’est-à-dire dans un milieu impondérable et immatériel. Il n’y a plus de matière dans le monde, il n’y a plus que de l’énergie. Mais d’où vient celle-ci, nous n’en savons rien. Ainsi, tandis que l’ambitieux édifice élève toujours plus haut ses étages géométriques de « gratte-ciel, » on aperçoit soudain que ses fondations reposent dans le vide.

De leur côté, les vitalistes commettent peut-être une double erreur. Pourquoi d’abord tracer une limite arbitraire entre le monde inanimé, et le monde vivant ? Est-ce pour laisser un enclos inviolé où puisse régner sans conteste le mystère, ce temple du rêve et de l’infini ? Mais ce serait faire la part trop belle aux esprits puérils, et leur donner à croire qu’ils peuvent réduire le mystère à la fuite. Celui-ci est partout, et il n’y a pas moins d’inconnu dans la cause de la force qui attire la terre vers le soleil, ou qui combine l’oxygène à l’hydrogène, que dans celles qui font pour une idée mourir les humains. Pourquoi refuser d’admettre que ces forces puissent être parentes ? L’univers ne sera-t-il pas plus beau, plus grandiose, plus adorable, si on admet son unité essentielle, au lieu de le « compartimenter » en zones d’influences dont les unes pourront être divines et les autres non ? Pourquoi enfin s’imaginer que le déterminisme de tous les phénomènes, s’il est jamais démontré, puisse être fatal au sentiment religieux ? Le contraire est peut-être plus vrai. Ce qu’il y a de divin dans l’Univers, c’est précisément que son harmonie soit gouvernée par des lois immuables, universelles et ne souffrant pas d’exception. « Les hommes, suivant une pensée profonde d’Henri Poincaré qu’on ne saurait trop citer, les hommes demandent aux dieux de prouver leur existence par des miracles ; mais la merveille éternelle, c’est qu’il n’y ait pas sans cesse des miracles. Et c’est pour cela que le monde est divin, puisque c’est pour cela qu’il est harmonieux. S’il était régi par le caprice, qu’est-ce qui nous prouverait qu’il ne l’est pas par le hasard ? »


CHARLES NORDMANN.