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ou dans l’autre. Pour beaucoup, le déterminisme psychologique a l’inconvénient radical de supprimer la liberté qui est une condition essentielle de noblesse et de dignité dans la vie, tant des individus que des peuples ; mais il serait exagéré d’attacher trop d’importance à cet inconvénient. D’une part, en effet, ceux qui professent et défendent le mieux le déterminisme se conduisent dans la vie comme s’ils étaient libres. D’autre part, ainsi que l’a dit Henri Poincaré, « tant que la science est imparfaite, la liberté conservera une petite place, et si cette place doit sans cesse se restreindre, c’en est assez pourtant pour que, de là, elle puisse tout diriger ; or la science sera toujours imparfaite, et non pas seulement parce que nos facultés sont débiles, mais par définition ; la question du matérialisme pas plus que celle du déterminisme ne saurait donc être résolue en dernier ressort par la science. »

C’est pourtant par des argumens purement scientifiques et en se fondant sur l’expérimentation physiologique, qu’un illustre biologiste français, M. Armand Gautier, s’est élevé récemment contre le déterminisme physico-chimique de la vie psychique ; à ce titre, il convient de les examiner. M. Atwater a fait en 1904 une expérience justement célèbre au moyen de sa Chambre respiratoire. C’est une cage métallique à triple paroi, soigneusement isolée au point de vue calorifique, et dans laquelle les sujets humains sur lesquels on expérimente peuvent vivre des semaines entières et travailler, recevoir leurs alimens analysés d’avance, renvoyer leurs excrétions à l’extérieur, et se livrer à diverses occupations, tandis que l’expérimentateur note à l’extérieur, grâce à d’ingénieux dispositifs, les quantités de chaleur ou de travail transformé en chaleur produites dans cette enceinte. En 1904, M. Atwater ayant fait vivre dans sa chambre respiratoire, durant 155 jours, plusieurs jeunes gens qui s’y livrèrent à divers travaux intellectuels ou mécaniques et y dormirent, trouva que le total de l’énergie produite par eux dans ce temps s’était élevé à 449 950 calories. Or l’énergie produite par les alimens qu’ils avaient consommés, si on les avait transformés dans les mêmes produits résiduels en les brûlant dans un calorimètre ordinaire, aurait fourni 450 000 calories, c’est-à-dire, à un neuf millième près (ce qui correspond aux petites erreurs inévitables en des expériences aussi délicates), exactement la quantité observée dans l’expérience. De cela on a conclu que les transformations d’énergie se font dans la machine humaine suivant la même loi de conservation énergétique que dans une machine inanimée quelconque, et que, suivant une formule de Berthelot, l’entretien de l’état de vie ne consomme aucune énergie qui lui soit