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dès qu’il s’agit de la vie psychique, cela démontre mieux que tout au monde que la question n’est pas encore assez élucidée pour être justiciable des explications scientifiques.

La continuité que les physico-chimistes aperçoivent entre les phénomènes matériels elles phénomènes vitaux, M. Loeb prétend qu’elle se poursuit de ces derniers jusqu’aux manifestations les plus hautes de la pensée consciente. Il se montre ainsi le disciple des Cari Vogt, des Büchner, des Moleschott, de ceux qui ont inventé ces propositions célèbres, simplistes, et d’ailleurs indémontrables non moins qu’indémontrées : « La pensée est au cerveau à peu près ce que la bile est au foie et l’urine aux reins, » ou « la pensée est une phosphorescence du cerveau. » Les raisonnemens qui conduisent M. Loeb à des conclusions analogues sont assez originaux pour mériter une analyse. On connaît la tendance qu’ont certains insectes à voler vers la lumière ou loin d’elle et qu’on appelle le phototropisme, et nous avons rappelé ci-dessus comment M. Leduc réalise le phototropisme de certaines cellules artificielles. Le phototropisme se présente chez certains animaux comme la manifestation d’une impulsion à laquelle l’animal ne peut résister, et à laquelle il obéit, bien qu’il lui en coûte souvent la vie. Or M. Loeb explique d’abord ce phénomène par l’action de la lumière sur les substances photosensibles que contiennent les yeux de ces animaux, et dont les produits de réaction agiraient sur les muscles du corps par l’intermédiaire du système nerveux central. C’est ainsi que la prétendue volonté ou l’instinct de l’animal se ramènerait entièrement à des processus physico-chimiques. Par une série d’hypothèses analogues, dont il n’est aucune qui ne soit à la fois soutenable et indémontrable dans l’état actuel de la science, M. Loeb en arrive à conclure que nos désirs et nos espoirs, nos désillusions et nos souffrances, notre morale même et les sentimens bas ou sublimes qui emplissent notre vie intérieure, ont leur origine dans des instincts comparables au phototropisme des insectes, et sont déterminés en nous chimiquement et héréditairement.

C’est, sous une forme à peine rajeunie, la vieille, la très vieille doctrine du déterminisme psychologique. Les réfutations que les philosophes en ont données sont trop présentes à toutes les mémoires pour que nous ayons besoin de les rappeler. Aussi bien nous nageons ici en pleine métaphysique, et la thèse et l’antithèse sont aussi indémontrables expérimentalement, c’est-à-dire scientifiquement, l’une que l’autre. C’est pourquoi le suprême argument ne pouvant être actuellement trouvé dans les faits, le sentiment incline chacun dans un sens