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que les phénomènes vitaux ne sont point soustraits aux forces qui gouvernent la matière brute, croit y distinguer des caractères particuliers : la vie, sans modifier les lois de la matière, les utilise en leur donnant une direction particulière, ce que certains appellent des dominantes, ce que Claude Bernard nommait des idées directrices, et qui rendent les êtres vivans essentiellement différens des autres. Cette doctrine, sous des formes diverses qu’il serait superflu d’analyser après les pages définitives que lui a consacrées M. Dastre, a aujourd’hui l’adhésion de tous les spiritualistes qui prétendent d’autre part ne rien dédaigner des conquêtes de la science ; elle s’est en outre répandue d’une manière étonnante dans tout le monde cultivé, grâce notamment à l’éloquence de M. Bergson, à qui est due sans doute pour une large part la vague de spiritualisme qui depuis quelques années soulève la société.

De l’autre côté de la barricade, le physico-chimisme biologique prétend réduire les phénomènes vitaux à ceux que manifeste la matière inanimée. Pour lui, toutes les forces mises en jeu chez l’être vivant sont essentiellement réductibles aux forces physico -chimiques. C’est la théorie de l’école matérialiste ou moniste.

Les faits nouveaux apportés par M. Loeb, et qui sont relatifs surtout à la fécondation, ont apporté assurément un argument sérieux à la doctrine physico-chimique de la vie. Pourtant, avant de les exposer, nous voulons remarquer qu’a priori même il est impossible d’en tirer des conclusions définitives dans un sens ou dans l’autre. La raison en est simple : la doctrine vitaliste et la conception physico-chimique de la vie sont toutes deux des hypothèses et des extrapolations puisqu’elles ne se fondent que sur un nombre limité de faits acquis (sur lesquels d’ailleurs elles sont d’accord) et, comme telles, elles sont l’une et l’autre en quelque sorte métaphysiques. Tandis que le moniste dit : « Tous les phénomènes vitaux que j’ai analysés jusqu’ici sont physico-chimiques, et j’en induis que tous les autres que je n’ai pas pu encore aborder le sont également, » le vitaliste s’écrie : « Si loin que nous allions dans l’analyse physique des phénomènes de la vie, il arrivera un moment où nous nous heurterons à quelque chose qui n’est pas physico-chimique. » Il n’y aurait qu’un moyen de départager ces opinions opposées, ce serait de connaître absolument et d’avoir pu reproduire sans exception tous les phénomènes vitaux. Avant que cela soit fait, il s’écoulera encore quelques douzaines de siècles sans doute. D’ici là, et quels que soient les progrès de la biologie expérimentale, spiritualistes et matérialistes sont sûrs de n’avoir point à rendre les armes, puisque