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s’est séparé de la France. Napoléon, à Fontainebleau, est seul. Madame, Fesch, Joseph, Julie, Jérôme, Catherine passent à peu de distance ; mais il est seul. Puis, au long de sa route d’exil, peu s’en est fallu qu’il ne rencontrât l’un des siens ; mais on s’écarte de lui, et il est seul. Des intrigues se nouent, sans lui. Toutes ces intrigues, où les Napoléonides sont mêlés, M. Frédéric Masson les signale, et sans épargner personne. Mais il nous invite à ne pas confondre le fait et la conjecture. Il est possible que, sur la conjecture, on discute avec lui : c’est affaire aux savans. Après avoir indiqué, en principe, comment M. Frédéric Masson traite la vérité, je ne songe plus qu’à la beauté de ce poème, à cette épopée de l’abandon.

Quand le héros est à l’île d’Elbe, dans ce désert et la tête peuplée de tout un monde absent, quel bruit fait tout ce monde imaginé, parmi le silence et l’isolement !... Napoléon s’ennuie. Et nous pensons à cet autre héros, Achille, loin de l’armée.

L’épopée napoléonienne de M. Frédéric Masson varie de ton, d’allure et de couleur, d’un épisode à l’autre. Elle est, dans le poème de la solitude, voilée de chagrin, morne, et parfois animée de colère ; puis la tristesse, de nouveau, l’accable, et non la résignation : le deuil. « C’est le grand deuil pour la mort de Roland » — qui se prépare.

Elle était, cette épopée, si hardie précédemment, si vaillante, sr orgueilleuse, et plaisante, gaie, selon les heures ! Elle a toute la variété de l’âme napoléonienne en qui tous les sentimens multipliaient leur abondance et leurs singularités.

Le style : celui qu’il fallait. Désinvolte, souvent bizarre, et populaire volontiers, comme improvisé : improvisé, de même que la chose impériale, que l’opportunité réclame. Un style qui, à chaque instant, trouve ses ressources, les trouve plus riches, plus extraordinaires, plus éblouissantes qu’on ne les aurait prévues. Un style obéissant à l’idée, et qui accompagne son chemin, sa course, voire ses bonds. Et un style qui marque le rythme des phrases, les lance ou les retient, comme des bataillons dociles à un chef.


ANDRE BEAUNIER.