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et cela rend plus magnifique sa grandeur, plus magnifique et plus poignante, car, ainsi seulement, elle est humaine.

Et humaine, toute l’histoire, telle que l’entend M. Frédéric Masson. L’histoire véritablement humaine, il l’oppose à l’histoire « politique. » Celle-ci prend un à un les grands faits d’une époque ; et elle en montre l’enchaînement : c’est le rêve des philosophes de l’histoire. Ils considèrent qu’une puissante logique préside aux apparens hasards des siècles ; et ils formulent ce qu’ils nomment les lois de l’histoire. Seulement, il n’est rien de plus chimérique : si Napoléon n’était pas intervenu, l’anecdote européenne se fût déroulée autrement ; or il se pouvait que Napoléon n’intervînt pas, ou bien il pouvait être tué rue Saint-Nicaise. Alors, les lois de l’histoire avaient mille ennuis. Ce n’est pas qu’il n’y ait, parmi les grands faits d’une époque, cet enchaînement. Mais, la cause de cet enchaînement, capricieux d’ailleurs, elle ne réside pas dans une fatalité mystérieuse : elle réside dans lu volonté intelligente des hommes qui tantôt continuent, tantôt modifient la série des événemens. Un petit nombre d’hommes : ceux que Thomas Carlyle appelle les héros, Emerson les hommes représentatifs, et dont Salluste évaluait l’énergie efficace, virtus. A la vaine philosophie de l’histoire, l’auteur des Études napoléoniennes substitue, si l’on veut, la psychologie de l’histoire : il n’a point recours à des systèmes d’idées abstraites, mais à la réalité concrète, vivante, à la fois spirituelle et charnelle, des « êtres majeurs, » les héros. Son histoire est, ainsi, humaine ; et, ainsi, elle est individualiste. Il y aurait maintes raisons de l’en approuver : au surplus, l’historien de Napoléon s’y fût-il trompé, l’Empereur l’avertissait.

Je crois que plus et mieux travaillent les historiens, depuis cinquante ans, plus et mieux se révèle la vérité de l’opinion qu’après Salluste, Emerson et Carlyle ont affirmée : l’individu est l’agent de l’histoire.

Eh bien ! de cette manière, ne retournons-nous pas à l’épopée ? ou l’épopée n’est-elle pas la soumission d’une époque à son héros ?...

Et l’on voit enfin comme sont heureusement liés les divers élémens de l’histoire que M. Frédéric Masson préconise et pratique.


Au tome X de Napoléon et sa famille, le héros est entré dans l’ère de la tribulation. La solitude, peu à peu, gagne autour de lui, devient plus vaste. Les Napoléonides s’éloignent. Louis est parti pour Lausanne ; Joseph attend ses passeports ; Jérôme sollicite l’hospitalité autrichienne ; Lucien lie de très bonnes relations avec le Pape ; Murat