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jusqu’à son trépas. Il y a, — empruntons le langage de l’épopée carolingienne, — les Enfances Napoléon, la Paternité, la Famille ; et puis l’Intimité Napoléon, sa maison, ses loisirs ; et puis, cette sorte de Moniage Napoléon, Sainte-Hélène. C’est un beau cycle, et digne d’entrer dans la « matière de France. »

Épopée admirable, et familière au point qu’on en fut quelquefois surpris. Mais l’épopée est familière : on a tort de l’oublier. L’Odyssée est familière ; et l’Iliade aussi, quand Leconte de Lisle ne l’a pas trans- formée en un poème barbare. Comment l’épopée ne serait-elle pas familière, elle qui est la vie des héros ? Et la vie, la vie même des héros, le détail de toutes leurs journées en tisse l’étoffe remuante.

C’est avec le détail des journées que M. Frédéric Masson, patiemment et allègrement, recrée l’âme de l’Empereur. Et l’on a bien voulu se demander si l’Empereur ne méritait pas un traitement plus impérial et cérémonieux. Laissez de côté, disait-on, ce par quoi il serait l’un de nous, tout bonnement !... L’un de vous ?... M. Frédéric Masson n’accepte pas ce reproche : il a raison. Vous séparez, a-t-il répondu, l’homme public et l’homme privé ; mais « il y a l’homme : son caractère est indivisible comme sa nature. » Et il ajoute : « Dès qu’un homme a joué un rôle historique, il appartient à l’histoire ; l’histoire le saisit partout où elle le rencontre, parce qu’il n’est pas de menu fait de son existence, de médiocre manifestation de ses sentimens, de détail infime de ses habitudes qui ne serve à le connaître. Tant pis s’il a des vices, tant pis s’il a des manies morbides, de vilains côtés de nature ; l’histoire le dira, et de même s’il est borgne ou bancal. Elle recueillera toutes ses paroles, même les paroles d’amour ; elle étudiera ses tares physiques de même que les déviations de sa pensée ; elle interrogera aussi bien sa maîtresse que son médecin, son valet de chambre que son confesseur. Si, par fortune, elle saisit son livre de comptes, elle le dépouillera, et elle dira de quel prix ont été payés ses services, comment il s’est enrichi et ruiné, quels héritages il a laissés. Elle soulèvera son drap funéraire pour chercher de quelle maladie il est mort et quelles ont été devant l’absolu ses suprêmes agitations... » Bien ! — Mais l’histoire, ainsi conçue, n’est-elle pas le dénigrement des héros ? — Le dénigrement ? Pourquoi ?... Et pourquoi supposez-vous que l’enquête, méticuleuse, aboutisse au dénigrement ? C’est qu’à votre avis l’homme, et voire le grand homme, est dans le secret de son âme et de sa chair un pauvre homme : peut-être ! Mais alors, le héros est le pauvre homme qui, de sa chair débile et de son âme commune, tire pourtant de l’héroïsme. Cela suffit à sa grandeur exceptionnelle ;