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ainsi, dans un admirable essai, Henri Poincaré démonte les rouages de l’invention mathématique. Mais l’invention et la divination, — les mots l’indiquent assez, — sont les miracles de l’intelligence, qui échappent à l’examen de l’observateur. L’invention mathématique se fait, sans qu’on sache comment, dans une tête pourvue de ce génie ; et la divination de l’histoire, on l’a, ou non. Si elle n’est pas toute l’histoire, elle en est au moins le principal. Et tant vaut l’homme, tant vaut l’historien, puis son œuvre. M. Frédéric Masson, — si je résume, comme je le crois, ses idées, — n’a donc pas à contraindre ni à dissimuler son « moi. » Quand il a réuni tous ses documens et quand il les a soumis aux rigueurs de sa critique, ensuite quand il a senti la vérité sortir des limbes où elle était d’abord empêtrée, il n’a plus qu’à écrire, selon le gré de son imagination qui est de nature épique, une histoire qui, de nature, est déjà une épopée.


Heureux accord de l’auteur et du sujet !

On dirait que la destinée, ayant suscité Napoléon, créa autour de lui les hommes et les événemens pour le servir, — fût-ce en le contrariant et, même alors, pour lui permettre d’accomplir son personnage, de composer son authentique légende : — et elle lui créa son historien.

M. Frédéric Masson ne s’en aperçut pas tout de go : le cardinal de Bernis, le marquis de Torcy et le Département des affaires étrangères pendant la Révolution le divertirent quelque temps de connaître sa mission. Mais il la connut et fut, désormais, consacré. Il eut devant lui cette immensité : Napoléon.

Et il s’éprit, pour l’Empereur, d’un tel sentiment qu’il aima, plus encore que ses exploits, lui. Et il abandonna les guerres à d’autres, — non sans regret, peut-être ; — l’âme de l’Empereur, il se la réserva, non sans jalousie.

Les Études napoléoniennes, encore inachevées, emplissent vingt et quelques volumes in-octavo. Il faudrait ajouter les petits volumes, — Jadis, Autour de Sainte-Hélène, Sur Napoléon, Petites histoires, etc., — qui sont comme les carnets de croquis où il note premièrement des aspects et des gestes, des signes qu’il utilisera plus tard, enfin les « préparations » du grand portrait.

Les vingt et quelques volumes des Études napoléoniennes, et ceux qu’on attend, formeront un cycle analogue à celui de Charlemagne dans la littérature du moyen âge. Et le nouveau Charlemagne y passe toute sa vie, courte et abondante plus que nulle autre, depuis sa naissance