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L’aventure de Murat, vers la fin de l’Empire, est extrêmement mystérieuse. Elle l’est moins ou elle ne l’est plus guère, si l’on admet que s’y mêle l’influence des sociétés secrètes italiennes. Sans cette influence, toute une suite de faits est incompréhensible ; avec cette influence, tout s’éclaire. Alors ?... « Ai-je des documens, — dit M. Frédéric Masson (Napoléon et sa famille, tome V), — des documens pour l’affirmer ? Non : seulement des raisonnemens, des rapprochemens, à peine des indices. Je n’affirme donc pas ; mais, si l’on n’était point admis à supposer, il faudrait renoncer à écrire l’histoire... » Il ajoute : « Surtout celle d’époques si rapprochées et si tumultueuses. » La conjecture, la voilà, et sa nécessité.

La conjecture ? Et les maîtres de la « méthode » vont crier à la fantaisie. Remarquons, pour les apaiser, qu’en procédant ainsi l’historien suit l’exemple de la critique verbale, science revêche et qui, partant, leur impose. Cette page que complète, par conjecture, le philologue, c’est l’histoire que l’historien complète. Et le philologue est sans reproche, s’il a encadré de certains crochets sa conjecture ; pareillement, l’historien, s’il a dit : — Je n’affirme pas, je suppose.

La vérité de l’histoire, écrit M. Frédéric Masson, « n’est pas toute enfermée dans les papiers. » Il y a, pour qui la veut connaître toute, un effort de « divination. »

Comment deviner ?... Si l’on peut ainsi parler, c’est un coup de la grâce. Mais, la grâce de l’histoire, comme la grâce de la foi, il faut qu’on la prépare ; ou, plutôt, il faut qu’on se prépare à elle. « Il faut, sans s’occuper d’une idée d’ensemble... » Et Taine, assez souvent, partait d’une idée ; l’idée, ici, vient après... « Il faut accumuler les pièces venues de partout, dont on a pu vérifier l’authenticité et retrouver l’origine, ne rien négliger même des billets infimes, même des témoignages contradictoires, former le dossier de tout ce qui a un rapport même lointain avec le sujet, — et, alors, les pièces s’éclairent l’une l’autre, un trait de feu les parcourt et les relie, elles font masse ; elles portent la conviction dans l’esprit, — et c’est une phrase, un mot parfois qui a provoqué l’explosion subite de la vérité. » Voilà, en résumé, le mécanisme de la divination.

Quand Fustel de Coulanges publia son Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, les maîtres de la « méthode » opinèrent qu’il avait, en bien des endroits, abusé des « textes : » et puis on découvrit d’autres « textes, » qui prouvèrent que Fustel de Coulanges avait deviné, quoi ? la vérité.

M. Frédéric Masson pose, on l’a vu, les règles de la divination. Et