Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il faut, dit-on, que l’historien soit impartial. Certes, oui ; certes, si l’on entend par là que son premier devoir est la simple vérité. En 1870, au Collège de France, Gaston Paris, qui étudiait la Chanson de Roland et la nationalité française, déclarait : « Je professe absolument et sans réserve cette doctrine, que la science n’a pas d’autre objet que la vérité, et la vérité pour elle-même, sans aucun souci des conséquences bonnes ou mauvaises, regrettables ou heureuses, que cette vérité pourrait avoir dans la pratique. Celui qui, par un motif patriotique, religieux et même moral, se permet dans les faits qu’il étudie, dans les conclusions qu’il tire, la plus petite dissimulation, l’altération la plus légère, n’est pas digne d’avoir sa place dans le grand laboratoire où la probité est un titre d’admission plus indispensable que l’habileté. » Au lieu de la science, disons l’histoire : ces paroles augustes gardent leur qualité d’axiomes. Et M. Frédéric Masson (Napoléon et sa famille, avant-propos du tome III) : « La vérité est une ; l’histoire n’est faite que pour elle... Si, ayant trouvé un fait, surpris une pensée ou même ressenti une impression, j’en dissimulais une parcelle, si j’hésitais à découvrir tout entière la vérité telle qu’elle m’est apparue, je ne serais plus, à mes propres yeux, qu’un misérable pamphlétaire ou un misérable courtisan. L’un vaut l’autre. » Voilà, nettement posé, l’impératif catégorique de l’histoire. L’auteur des Études napoléoniennes, l’ayant posé, ne l’oublie pas. Acharné à la recherche de la vérité, usant à cette tâche autant d’activité qu’il en a, multipliant les scrupules et, au besoin, les astuces, épiant et furetant pour attraper les bribes de la moindre certitude, il ne cèle rien, quitte à ce qu’on le voie fort rude et brutal même. Il est napoléonien ; et il l’est avec une espèce de radieux enchantement. Célera-t-il, au profit de Napoléon, la vérité ? Napoléon et sa famille est, en dix et bientôt douze volumes, l’histoire de la faute que Napoléon, pendant tout son règne et dès avant son règne, a commise et qui l’a conduit au désastre : un instinct corse de la famille a perdu l’Empereur des Français. Il y a d’autres responsabilités ; il y a celle-là. L’historien de Napoléon le dit, le prouve et il le montre avec une prodigieuse abondance d’argumens, avec une merveilleuse délicatesse d’analyse. Et, bref, il est impartial. S’il lui en coûte de l’être, il l’est néanmoins ; il l’est avec chagrin : ne l’est-il pas avec une volonté plus énergique ?

Quand il parvient (tome X) au temps suprême de l’Empire, aux « jours néfastes que voile pour jamais un crêpe ensanglanté, » sa douleur éclate. Devait-il la tenir secrète ? comme, ailleurs, devait-il ne pas divulguer son enthousiasme ou son indignation, sa sympathie ou son