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plus attentivement et avec plus d’adroite rouerie un texte relatif à Childéric II, fils de Clovis II et de Bathilde. Mais ils le discutent plus posément, oui ! Et ils n’ont pas cette fougue, cet entrain gai. Ils n’ont ni fougue, ni entrain, ni gaieté. Ce sont des écrivains graves et accablés : la « méthode » ne sourit pas.

Elle a quelque chose de guindé, de compassé. Pourquoi ? C’est qu’elle s’ennuie. Et elle semble dire au lecteur : « Je voudrais bien vous y voir ! » Le lecteur s’ennuie également. Elle a un grand air froid. C’est qu’elle recommande et enseigne l’impassibilité. Elle veille à ne se mettre ni en colère ni en joie : elle craint d’altérer, par ses passions, la vérité. N’a-t-elle pas cru un instant que l’historien devait être une sorte de pur esprit et comme un indifférent miroir où vient la vérité se réfléchir ? Elle exigeait que l’historien se démunît de toute sa personnalité, qu’il fût un endroit où arrivent les faits, à leur guise ; et cet endroit, où les faits sont accueillis, n’est pas une demeure dont il sied qu’on prenne et les habitudes et les manières, mais un hôtel : le voyageur n’a point à se gêner, on ne jugera point sa façon d’être.

La personnalité de M. Frédéric Masson, bien marquée, ardente, exubérante, apparaît à toutes ses pages. Il se déclare « Français, patriote, militariste : » et le maître de la « méthode, » à ces mots, s’est voilé la face. Il écrit : « Et si, d’un jeune homme ou d’un enfant, j’avais, par l’exemple de Napoléon, ouvert l’âme prédestinée et géniale aux ambitions salutaires et aux résolutions décisives, quel orgueil j’en prendrais. Ah ! qu’il vienne donc enfin le Libérateur ! Que dans l’orgie parlementaire à quoi Circé préside, où les porcs, vautrés dans la fange de leurs lois, se disputent, de leurs groins sanglans, les lambeaux pantelans de la chair divine, qu’on entende sonner comme un glas le pas du convive redouté ! Que, devant lui, les portes trois fois verrouillées tombent et s’écroulent sous l’irrésistible poussée du vent du large ; que, dans l’effarement et la fuite des pourceaux repus, il entre, qu’il aille droit à Circé et, sans parler, d’un geste expiatoire et divin, qu’il plonge jusqu’à la garde sa courte épée dans la gorge de la Magicienne scélérate ! » Et le maître de la « méthode » est mort subitement.

Du reste, cette invective, je l’emprunte à l’un de ces avant-propos où l’auteur, songeant à ce qu’il va conter, cède à son émoi plus librement que dans le récit. Mais enfin, sentimens, amitiés ou haines qui l’occupent, — et voire le préoccupent, — il ne dissimule rien. Toute son œuvre (et, à mon avis, très justement) proteste contre une fausse idée de l’impartialité.