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durée humaine, en prêtant au passé notre vie incessamment renouvelée. Voilà l’histoire : et elle n’a pas cette « objectivité » parfaite (et, d’ailleurs, impossible) à laquelle prétendirent les maîtres de la « méthode. » Elle est aussi moins distincte de l’épopée qu’ils ne le disaient. Elle continue l’épopée.

Elle la continue ; mais elle la transforme. La « méthode historique » aurait pu tuer l’histoire ; elle ne l’a pas tuée : mais l’histoire a subi les conséquences de l’attaque. Victorieuse, elle les a tournées à son profit ; et elle est sortie de là fortifiée. Il y avait, dans la « méthode, » des germes malfaisans : et l’histoire les a éliminés. Il y avait, dans la « méthode, » des sucs vitaux : et l’histoire les a vite assimilés. Elle a triomphé de l’épreuve, magnifiquement ; et elle est aujourd’hui, dans la littérature, le genre qui s’épanouit le mieux.

Ce qu’elle a su garder de la « méthode, » c’est un ardent souci de la vérité, un puissant désir de connaître le détail, une habileté subtile à le vérifier ; c’est la volonté de n’être pas facilement contente, et de chercher, et de trouver ; c’est le goût de la certitude et, à défaut d’un tel résultat, c’est le soin de limiter son affirmation. Tout cela caractérise, à présent, l’histoire. Mais tout cela qui, au lieu de tuer l’histoire, l’a vivifiée, enrichie, ne l’a pas non plus dénuée de ses qualités épiques. Avec ses procédés scientifiques, dont elle fait un heureux emploi, l’histoire ne devient pourtant pas une science : elle est encore une poésie. Homère demandait à la muse combien les Achéens avaient de navires. Trois cent quatre, répondait la muse. Et Homère écrivait : Les Achéens avaient trois cent quatre vaisseaux. Si M. Frédéric Masson souhaite de savoir combien ont coûté les draperies funèbres, pour les obsèques de Leclerc, il interroge, non la muse, mais les archives. Deux mille cinq cent quatre-vingt sept francs soixante centimes, disent les archives. Et il l’écrit, avec un amusement pareil à celui d’Homère que les précises révélations de la muse divertissaient.


Les « Études napoléoniennes » de M. Frédéric Masson : de l’histoire, — préparée par l’érudit le plus docile aux bonnes règles de la méthode, — et composée (je tâcherai de le montrer) par un poète épique.

Je ne sais si jamais nul historien eut à réunir une telle somme de documens. Son héros, pourvu d’un génie universel et d’une activité sans repos, le menait partout. Et M. Masson ne négligeait rien ; il s’était promis de n’omettre aucune des journées du héros qui emplissait, boudait chacune de ses heures. L’initiative du héros se répandait au loin ; et il fallait la suivre jusqu’à ses aboutissemens. Autour du