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puzzles ; mais il manquait, à l’image qu’ils s’efforçaient de retrouver, maintes pièces : la règle était de n’y pas suppléer. La règle était de bannir l’hypothèse ; la règle était de bannir l’imagination ; la règle était de bannir l’homme qui, assemblant peu à peu les élémens de la réalité, rêverait là-dessus et, de son rêve, ranimerait cette mort desséchée.

La « méthode » a triomphé quelque temps. Appliquée à de certains sujets, elle a donné de fins résultats. Seulement, elle devait se borner à de petits problèmes où les « textes » n’abondent pas : la Grèce archaïque, par exemple, ou bien les annales des Mérovingiens. Alors, les maîtres de la « méthode » réussissaient le mieux du monde à n’être aucunement frivoles. Quant à procéder ainsi pour l’étude des périodes récentes, dans la quantité immense des journaux, des mémoires, des correspondances, autant valait y renoncer. Et c’est ce que firent, très sagement, les maîtres de la « méthode. « Leur labeur, au surplus, est un perpétuel renoncement.

Notons-le : il y a, dans leur abnégation même, une sorte de beauté, une sorte de poignant chagrin. Leur idée de la science leur refuse tout le plaisir de l’art. Ils ont accepté une terrible discipline. Et plus est inféconde la science à laquelle ils consentent leur sacrifice, plus est manifeste leur désespoir. Une telle assiduité, qui étonne, commande aussi le respect. Ces érudits furent les moines pathétiques d’une divinité morose et ingrate.

Mais ils tuaient l’histoire : — l’histoire, qui est une hypothèse, — une perpétuelle hypothèse. Ils tuaient le passé qui, mort, survit uniquement dans l’intelligence qu’ont de lui les âges suivans. M. Frédéric Masson a écrit (Napoléon et sa famille, avant-propos du tome VII) : « Nos histoires, moins belles certes, sont pareilles aux Dames que chantait Villon : à peine sont-elles nées qu’elles sont vieilles ; à peine ont-elles paru qu’elles sont mortes. Comme tant d’autres, les miennes passeront... » L’histoire n’est jamais achevée ; elle est sans cesse à refaire. Pourquoi ? De nouveaux documens apparaissent, qui modifient les conclusions premières. Et puis, surtout, ce qui change, c’est nous. Or, l’erreur que les maîtres de la « méthode » ont commise, la voici. Une orgueilleuse et belle erreur. Ils ont cru que l’histoire était exactement le passé, sans nous : et ils nous chassaient ; tout leur effort consistait à nous chasser. Mais l’histoire est le contact du passé et de nous.

Au gré de nos changemens, elle est toujours à refaire. Elle change, puisque nous changeons. Et ainsi, elle entretient l’éternité mobile de la