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admirions tout à l’heure offre je ne sais quoi de mol, d’efféminé, d’ « asiatique, » qu’eût répudié le goût d’un Phidias. Une légende, au sujet du célèbre Bouddha de Vajràsana, exprime ingénieusement cette histoire d’une création grecque et des altérations qu’elle reçut du génie local. C’est une de ces fables de sacristie que toutes les religions suspendent aux vieilles images, en garantie de leur vérité. La voici. Trois brahmanes, nouveaux convertis, consacrent au Bouddha trois statues et trois temples. Or, les artistes qui se présentèrent « étaient des dieux cachés sous une forme humaine. » Ils demandèrent sept jours pour exécuter un portrait d’une ressemblance irréprochable. Le plus jeune des brahmanes s’enferme avec eux dans le temple. Le sixième jour, sa mère vient frapper à la porte. « Demain ! » lui crie-t-on de l’intérieur. « Demain, dit la vieille, je serai morte. Et qui dira alors si le portrait ressemble ? Je suis la dernière vivante qui ait connu le Saint. » A peine eut-on ouvert, que les artistes célestes disparurent. « C’est Lui ! C’est le Parfait ! » s’écrie cependant la bonne femme, et soudain elle expire aux pieds de la statue. Il y manquait toutefois une journée de travail. Quelques parties restaient inachevées ; d’autres détails prêtaient à de légères critiques. On fit cela plus tard. — Tout n’est-il pas dans ce petit conte : les divins étrangers, le moine qui dirige leur main, le cri d’admiration des simples à la vue de l’œuvre merveilleuse, puis le travail de la réflexion, et l’effort autochtone pour s’approprier, adapter, « baptiser, » si je puis dire, l’image apollinienne ?... Voilé, résumée en quelques lignes, toute l’histoire de l’œuvre grecque et de son absorption par le génie bouddhique.

Il resterait à raconter, dans leurs phases successives, la suite des transformations qu’elle subit au cours de migrations nouvelles. On la verrait reprise, comme une ruine antique, par la toute-puissante végétation hindoue ; on verrait, sous l’action de cette force dissolvante, les types perdre leurs traits, s’encombrer d’attributs, les brasse ramifier, les corps se multiplier au point d’aliéner toute ressemblance humaine, et prendre cet aspect démoniaque, cette terrifiante apparence de crabes emportés par une frénésie de férocité et de luxure, qui nous épouvante à la vue de certains monstres du Tibet. On verrait, d’autre part, sous l’influence plastique de l’art du Gandhâra, les nobles graffitti, les silhouettes majestueuses, les « ombres chinoises » du Long-Men