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de la sublime légende qui sortait pour toujours des limbes dont le génie de l’Inde ne savait s’affranchir. Le but de la Grèce, c’est l’action. Nul génie plus simple, plus direct. Vous rappelez-vous ces scènes diffuses de Sanchi, ces bégaiemens interminables d’un enfant qui s’amuse autour de son sujet sans jamais entrer en matière, et qui prodigue les qualités les plus rares en pure perte, faute de dire de quoi il s’agit ? C’est l’histoire délayée à état de nébuleuse. Tout ce verbiage fait silence à l’apparition du héros. Dès que le principal personnage entre en scène, tout s’éclaire, s’ordonne, se concentre. Plus de ces éparpillemens, de cette confusion, de ce vagabondage d’une imagination oisive qui suppose son idée connue, se noie dans les détails, divague et se dilue dans l’insignifiance et la niaiserie. Il suffit que le Bouddha se montre : tout se cristallise, se détermine, tout prend une valeur et un sens. Les comparses s’effacent, les figurans s’évanouissent, le détail superflu s’élimine de lui-même ; il ne subsiste que l’essentiel. La Grèce, si quelqu’un l’avait pu, aurait corrigé l’Inde de la prolixité. Avec elle, ce fuyant génie eût fait sa rhétorique. Il eut appris à composer. Il aurait acquis la seule chose qui manque à ses dons magnifiques, de savoir se borner.

Les formules créées par les artistes du Gandhâra le furent pour les siècles. Elles suivirent, dans son immense itinéraire, la fortune du bouddhisme. Ce sont elles qu’on retrouve à Amaravati, aux fresques d’Ajanta, dans les kilomètres de bas-reliefs des temples de Boro-Bodour, dans les peintures chinoises et celles du Japon ; ce sont elles que les lamas s’opiniâtrent à répéter dans l’immuable Tibet. Sculptée ou peinte, la scène du Pari-nirvana, ou la mort du Bouddha, sera toujours reproduite selon les lignes fixées par le sculpteur du Gandhâra : plus ou moins compliqué, plus ou moins surchargé, on y reconnaît toujours le même thème invariable, de même que nos Calvaires espagnols ou vénitiens, allemands ou français, ne font que répéter avec mille nuances la donnée primitive tracée par les maîtres byzantins dans les sanctuaires de la Palestine. On distingue, on le sait, deux aspects de la scène : comme le crucifix se détache du Calvaire, de même le Bouddha mourant est souvent montré seul, dans l’attitude du sommeil. Ces deux versions du motif ont été inventées par les Grecs du Gandhâra.

Est-ce à dire que les types classiques furent admis sans retouches ? Ce serait grand miracle. Déjà la belle figure que nous