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ils transformaient en Olympiens nos rudes divinités celtiques, celles de la Germanie, celles même de l’ancienne Rome. M. Alfred Foucher, dans une jolie page, nous les fait voir à l’œuvre : « Que vous faut-il ? Un Hésus, un Tentatès ? Nous vous ferons un Mars, un Mercure : libre à vous de les vénérer sous le nom qu’il vous plaira... Vous voulez un Mithra, nous n’en avons pas fait encore : mais nous savons représenter le jeune Ganymède avec un bonnet phrygien, et nous le pencherons sur le taureau du sacrifice, dans l’attitude des Victoires... Et comme ils sculptaient le marbre d’Afrique, le calcaire du Jura, le porphyre de Pannonie, nous les retrouvons taillant le schiste du Gandhâra, faisant un Mâra d’un Eros, et, avec un turban et des boucles d’oreilles, changeant en Garoûda l’aigle de Jupiter. »

Revenons à notre vitrine : voyez cette admirable figure de jeune homme, ce profil délicat qui se dessine si noblement dans la pierre d’un bleu gris d’ardoise, ces yeux mi-clos, cette bouche sinueuse, qui semble retenir son souffle, ces cheveux parfumés, aux ondulations légères, ce visage d’un si beau modelé, ces joues pures que le jour enveloppe comme un flot d’ambroisie. Platon eût sur-le-champ reconnu le fils de Latone. C’est un Bouddha. Vous voyez à son front le signe de l’ourna, sur sa tête le monticule, la « bosse » de l’usnisha, marque de l’omniscience, et que l’artiste, par un artifice plein de tact, déguise d’un chignon finement crespelé. Sans doute, l’auteur de ce morceau n’était point un Scopas. Illustre dans sa profession, eût-il été si loin, à la cour d’un barbare Scythe, chercher son gagne-pain ? Était-il même un Grec, ou seulement un de ces provinciaux, un de ces colonials, Égyptiens, Syriens, que nous désignons sous le nom commun d’alexandrins ? Pourtant, une supériorité immense éclate dans son œuvre : c’est ce génie de clarté, de résolution, ce don décisif de l’artiste qui est le partage de la Grèce et qui, partout où elle passa, demeure son héritage.

Ce n’est pas tout. Il ne suffisait pas d’avoir donné à l’Inde le type du Bouddha, d’avoir fixé sa rêverie et arrêté cet idéal flottant et indécis, à demi dissous dans les vapeurs de cette terre fabuleuse, qui rendent presque insaisissable, à force d’impersonnalité, la figure réelle du grand apôtre de l’Amour. En forçant ce vague fantôme à redescendre sur la terre, en l’obligeant à prendre un corps, c’était, du même coup, toute l’iconographie