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céleste. La divinité, dans le bouddhisme, est un ressort fort secondaire ; elle paraît presque étrangère à la pensée du fondateur, à cette espèce d’étrange « religion athée, » sans dogmes, sans culte, désossée et dépourvue de tous les organes essentiels qui forment la charpente des autres religions. L’imagination indienne ne devait pas tarder à prendre sa revanche. Rien ne serait plus curieux que d’assister en détail à cette transformation. Des synodes, comme ceux que réunit le roi Narishka, au Ier siècle de l’ère chrétienne, s’occupèrent sans doute de régler ces questions ; malheureusement, les actes n’en sont point venus jusqu’à nous, comme ceux des conciles de Trente ou de Nicée. Les moines qui permirent les premières images du « Parfait, » prévoyaient-ils à quelle débauche d’idolâtrie ils exposaient l’avenir, et que, quelques siècles plus tard, dans la langue des conquérans arabes, le mot « Bout » (Bouddha) deviendra le synonyme d’idole ? On voit que l’ancienne théologie n’avait pas tort de se méfier. Mais il manquerait beaucoup à l’art, si la réserve antique avait plus longtemps prévalu.

Les premières images du Bouddha peuvent dater du début du deuxième siècle de notre ère. Toutes proviennent du Gandhâra. Toutes sont des œuvres du ciseau grec. Il y avait longtemps que le royaume indo-grec n’était plus qu’un souvenir. Mais les fils du subtil Ulysse étaient toujours grands voyageurs. Ils arrivaient par habitude, appelés les uns par les autres, par besoin d’activité, par curiosité, par goût, des aventures, et aussi par l’appât du lucre ; il en venait de partout, d’Alexandrie, d’Asie Mineure et de la Grèce elle-même. Atheniensis in Asia turba est, dit Sénèque : l’Asie est pleine de Grecs. C’est au point que le nom de Yavanas, d’ « Ioniens, » désigne tous les Occidentaux, comme aujourd’hui encore tout Européen, en Syrie, est appelé un Franc. Ils font là ce qu’on les voit faire partout ailleurs : habiles, diserts, sans scrupules, ils sont musiciens, pédagogues, marchands d’esclaves, entremetteurs, peintres, sculpteurs. Ce sont ces mercenaires, ces métèques, ces graeculi, qui créèrent le panthéon bouddhique, ou qui le définirent sous sa forme plastique. Ce que le génie indigène n’avait su formuler, un type viable du Bouddha, ce sont ces étrangers qui le lui apportèrent. Seulement, comme ils n’avaient pas cet article dans leur bagage, ils donnèrent à ce dieu les traits d’un Apollon. C’était leur pratique ordinaire : avec la même désinvolture,