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d’ordre religieux : soit qu’on redoutât l’idolâtrie, soit plutôt que l’on considérât comme une impiété de montrer, engagé au milieu des accidens de l’existence, un homme délivré à jamais du mal de vivre, et définitivement entré dans le Nirvana. Ce qui le prouve, c’est qu’on ne craint pas de le représenter dans les histoires de jatakas, c’est-à-dire dans le récit de ses existences passées, au cours de ce cycle de vies et de métamorphoses où le Bodhisattva, autrement dit le Bouddha futur, sous la forme d’un cygne, d’une caille, d’un singe, d’un éléphant, accomplit tant de merveilles de mansuétude et de charité. Mais à peine entre-t-il dans sa suprême incarnation, et devient-il le « Bouddha parfaitement accompli, » qu’aussitôt il s’efface : il disparait même des épisodes, d’un caractère tout laïc, qui précèdent la nuit sainte, la nuit de l’Illumination sous l’arbre de la Bodhi.

Invisible, il opère les quatre « grands miracles ; » il devient, en quelque sorte, étranger à sa vie. Flottant hors de ce monde dont il s’est détaché, jouissant par avance de sa levée d’écrou, gracié de la terre, il en rompt les liens et ne fait plus qu’assister derrière la coulisse aux derniers actes d’un drame dont la péripétie lui est déjà connue. Sa présence ne se signale plus que par hiéroglyphes. Des empreintes de pieds, une roue, un trône vide, un arbre sous lequel ne repose personne, voilà tout ce qu’il nous est donné d’apercevoir de lui. Ce système d’ellipses singulières ne laisse pas de poser parfois des problèmes embarrassans. Nous savons que la roue est celle de la Loi, que l’arbre est celui de la Bodhi : le rébus, à la rigueur, se laisse deviner. Mais que dire de la scène qui représente la sortie du prince Siddarthâ, par un cheval sans cavalier qu’ombrage un parasol ? Jamais nous ne trouverions le mot de ces énigmes, si parfois les sculpteurs n’avaient eu la prévenance de l’écrire pour nous au bas de chaque tableau.

Toutes les religions ont éprouvé les mêmes scrupules. Faut-il rappeler les cas de conscience qui se posèrent aux temps de la primitive Église, au sujet des représentations de la personne de Jésus ? Plusieurs Pères les maudissent comme des objets d’horreur, d’exécrables idoles. La question, au sein du bouddhisme, était plus délicate encore. Le Bouddha n’était pas un dieu. On a mille fois observé que les vieux textes, qui ne lui ménagent pas les prérogatives surhumaines les plus extravagantes, n’ont pas une seule fois l’idée de lui attribuer la nature