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voyage de Bacchus dans les Indes, avec son cortège païen de faunes et de bacchantes, sur des chars attelés de panthères.

Les monumens dont je parle peuvent dater du règne d’Açoka, le fameux Constantin du bouddhisme, qui vivait au milieu du IIIe siècle avant notre ère ; il y avait donc trois siècles que le Bouddha était mort. Ces vénérables témoins du premier art bouddhique, les portes des stoupas de Barhut, de Sanchi, ont été bien des fois décrits : le moulage d’une de ces portes, provenant de Sanchi, est placé dans la cour intérieure du musée Guimet, où chacun peut la voir. L’œuvre est très curieuse. C’est une architecture de pierre qui se souvient de l’époque récente où elle était de bois : les quatre faces de ses montans, la triple traverse qui les unit, et qui conserve la forme de poutres, ne sont qu’un fourmillement de bas-reliefs et de sculptures. L’œil a peine à s’y reconnaître : c’est déjà, avant qu’on ait eu le loisir de rien distinguer, cette impression de folle luxuriance, ce mélange de richesse et de puérilité, cet amour des répétitions, cette absence de retenue et, pour tout dire, ce manque de goût qui est propre au génie de l’Inde, et qui gâte toujours ses plus belles inspirations. Il faut ajouter, après cela, qu’une fois habitué à cette diction touffue, on démêle aussitôt mille détails charmans : ce sont des scènes de mœurs, des défilés, des éléphans, des villes, des palais, des jardins, des fontaines, mille renseignemens sur les armes, le mobilier, les costumes, les parures, bref, un tableau complet de la vieille civilisation de l’Inde, un répertoire d’antiquités, un grand Jungle-book en images de la vie du pays, il y a deux mille ans. Seulement, on est bien surpris d’apprendre que ce monde sculpté, si amusant, si instructif, représente la vie du Bouddha : car, dans ces centaines de personnages, au milieu de cette foule d’animaux, d’hommes, de femmes, qui animent cette porte inépuisable, l’artiste n’a oublié qu’une seule figure, et c’est précisément celle de son héros.

Il est clair que cet oubli n’est pas une négligence. Si fortes qu’on suppose les habitudes de bavardage, l’étourderie de ces vieux imagiers, une omission à la fois si capitale et si constante ne saurait s’expliquer par une inadvertance. On ne s’impose pas non plus gratuitement la gageure de raconter l’histoire d’un saint par prétérition. Évidemment, on a affaire à des motifs