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le grand Renoncement et la grande Pitié, — il y a là un souvenir, un immortel bienfait de la Grèce.

Les faits sont connus, les monumens sont publiés ; plusieurs ont trouvé un asile au British Muséum, au Louvre et à Berlin. L’Exposition ajoute peu de chose à ce qui était acquis. Mais ce qu’elle nous montre suffit à nous ravir. Pour ceux qui ne lisent pas les Revues spéciales, et que découragent le désordre et le dédale du Louvre, la vingtaine d’objets trouvés au Gandhâra et appartenant à Mme Michel, présente une matière immense de rêveries. Arrêtez-vous devant cette vitrine : considérez cette frise d’Amours, ces Cupidons joueurs qui portent des guirlandes ; regardez ces petits bas-reliefs, aux sujets mystérieux, et qui semblent une réduction de ceux des sarcophages ; admirez ce fragment de statuette mutilée, ce jeune torse aux cuisses viriles, tel que seule jamais en sut modeler l’Ionie ; voyez ces têtes gracieuses, ces draperies élégantes, ces ombres exilées, ces touchantes Andromaques : ce sont des reliques de la Grèce.

Ces objets, je l’ai dit, proviennent du Gandhâra, c’est-à-dire de la partie septentrionale du Penjâb, voisine du Cachemire. Cette portion de l’Inde, au pied de l’Hindou Kousch, sur la frontière afghane, et qui, par la passe de Caboul, est la seule route de l’Ouest à la vallée de l’Indus, a été de tout temps un carrefour de peuples : c’est le grand chemin des invasions. Par là entrèrent les Perses, les Scythes, les musulmans : c’est l’objectif de Bonaparte, lorsqu’il médite à Saint-Jean-d’Acre d’aller rejoindre Tippo-Sahib et de battre l’Angleterre aux Indes, sur les traces d’Alexandre. Tout le monde connaît l’étonnante équipée, le raid de ce jeune héros jusqu’aux bords de l’Hydaspe, et les rapides destinées de son empire d’Asie, éphémère comme son fondateur. Pendant deux siècles, la Bactriane fut pourtant un royaume grec. Cette influence, mêlée à celle de l’Iran, est sensible sur les premiers monumens du bouddhisme. On y trouve, enlacé à des réminiscences de l’art des Séleucides, maint motif familier et charmant de l’art grec : amours, tritons, sirènes, silènes, centaures, hippocampes, scènes de vendanges et de bacchanales. Ce fut toujours une molle argile, que cette Inde ; chaque pas étranger y laisse son empreinte. En présence de telle voluptueuse idylle, de tel bas-relief du Gandhâra, où de jeunes femmes demi-nues boivent avec des satyres, on ne peut s’empêcher de songer au vieux mythe, au merveilleux