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les plus lointaines, et que cet art, à l’origine, est un rejeton du même tronc dont le nôtre, avec toutes ses ramifications, n’est que la branche occidentale. Il y a près de quarante ans, lors des premières découvertes faites dans le district de Peshawâr, Curtius écrivait : « Une page nouvelle de l’art grec vient de s’ouvrir. » Tout ici vérifie cette formule et l’éclaire. Cette prodigieuse fortune du génie hellénique, cette nouvelle odyssée à travers les pays et les dieux de l’Orient, ses avatars, ses aventures au milieu de contrées et de races inconnues, parmi les Lotophages et jusqu’aux bords de la mer de Chine, viennent d’être racontées avec un art exquis par M. Victor Goloubew, dans un cours de six leçons professées à l’Ecole des Langues orientales, et dont je lui dois d’avoir le texte sous les yeux. Je ne le suivrai pas dans ce récit. Je m’attacherai seulement à préciser le point de départ.

S’il y a deux arts opposés et en apparence irréductibles, c’est bien l’art chinois et l’art grec. Ce qu’on appelle « chinoiserie, » c’est-à-dire la complication, l’artifice, la bizarrerie, le formalisme jusqu’à l’absurde, est sans doute fort éloigné de la raison, de l’incomparable sentiment de la nature et de la vie que respirent les marbres du Parthénon. Si l’on entend par « japonisme » l’abus de la recherche, le raffinement excessif. la préciosité et la mièvrerie du décor, rien ne ressemble moins à la simplicité, au calme imposant de l’antique. Mais ces définitions sont-elles exactes ? Ce sont des opinions fondées sur les productions récentes et vulgaires d’écoles bien dégénérées. Regardez, par contraste, certains petits bronzes archaïques, montrant des ascètes accroupis dans la pose des allantes : on pourrait les croire exhumés d’une fouille d’Herculanum, ou de cette galère athénienne que M. Alfred Merlin retrouva naguère échouée dans les sables des Syrtes.

Mais ce ne sont là que des bagatelles. La Grèce a rendu à l’Asie un service autrement important. Elle lui a permis de se représenter ses dieux. C’est elle qui a créé le type plastique du Bouddha ; l’art des pays bouddhistes lui est donc redevable de son objet essentiel. Partout où l’on adore, partout où l’on supplie le miséricordieux apôtre de Kapilavastou : partout où, dans une bonzerie cinghalaise, un couvent du Népal, une lamaserie du Tibet, se dresse, assise sur un lotus, la figure du doux rêveur, du consolateur sage et tendre qui enseigna aux hommes