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toutes ses idées générales il les eût très précisément avant 1789) ; il ne s’est pas diminué non plus comme homme capable de gouverner, car c’est à partir de 1789 qu’il a montré l’art suprême du chef de gouvernement, qui est de savoir choisir dix, quinze, vingt collaborateurs, de tirer d’eux tout ce qu’ils contiennent, de le comprendre mieux qu’eux, de l’assimiler rapidement et de le transformer en vues de génie, et pratiques ; mais il s’est diminué comme homme moral et par suite comme homme ayant du crédit et à qui l’on a confiance.

Il semble s’être trompé sur ce point ; car il attribue sa relative impuissance à ses fautes et à ses vices de jeunesse ; il dit, il répète : « L’immoralité de ma jeunesse est un malheur public. » Ce n’est pas tout à fait cela : on lui aurait parfaitement pardonné sa vie licencieuse, et ce n’est pas elle qui l’empêchait de devenir ministre ; l’obstacle c’était sa vénalité soupçonnée et l’insurmontable défiance que, de ce fait, il inspirait. Et sans doute, ce sont bien ses vices qui l’ont conduit à la vénalité et qui sont la cause première, et s’il a voulu dire cela, il a dit juste ; mais il ne semble pas que ce soit cela qu’il ait voulu dire, et je crois bien qu’il attribuait les difficultés de sa position, non à l’homme taré, mais à l’homme vicieux.

Tant y a qu’il s’est diminué pendant la Révolution de la façon que j’ai dite et qu’il en est venu assez vite à être, je ne dirai pas un intrigant de génie, car il n’avait pas du tout de génie comme intrigant, mais un intrigant, qui du reste et d’autre part était un homme de génie. La moralité de ceci c’est que, pour être un grand homme d’Etat, il faut, avec du génie, avoir toutes les ambitions et pas de besoins.


IV

Que serait-il arrivé de Mirabeau s’il n’était pas mort le 2 avril 1791 à l’âge de quarante-deux ans ? Ces questions sont trop oiseuses pour que je consacre à l’une d’elles plus de vingt lignes, mais encore elles contribuent à fixer les idées sur un homme.

Il aurait été assurément guillotiné en 1793 s’il fût resté en France ; si, ce qu’il aurait sans doute compris qu’il fallait faire après les découvertes de l’armoire de fer, il avait fui à l’étranger, il n’aurait pas pu revenir avant le Consulat, et très probablement il n’aurait pas été employé par Napoléon qui s’accommodait