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(non pas de génie) pour louvoyer ainsi que pour combattre ; c’est là peut-être la partie du talent la plus rare, du moins chez les talens un peu distingués, parce que c’est la moins attrayante et celle qui vit de petites combinaisons accumulées, de privations et de services... L’homme public qui n’a pas renoncé à influer et qui se considère plus comme homme d’État que comme orateur ou écrivain, n’avait pas un autre parti à prendre. » — « Il faut dissimuler, disait-il dans une autre circonstance, quand on veut suppléer à la force par l’habileté, comme on est obligé de louvoyer dans une tempête. »

Il résultait de cela une certaine « incohérence » (le mot est de M. Barthou) dans la conduite de Mirabeau à l’Assemblée nationale : on ne comprenait pas ses contradictions, si éloquentes qu’elles fussent, et ses volte-face, de quelques prestiges littéraires qu’elles fussent comme illuminées.

Et l’Assemblée se défiant de lui, non qu’elle sût qu’il fût acheté, mais doutant peu qu’il ne fût capable de l’être ; et la Cour se défiait de lui comme d’un homme de la duplicité même duquel on ne pouvait pas être sûr, et « la grande trahison du comte de Mirabeau » avait ceci de particulier, comme d’autres du reste, qu’on ne pouvait pas être certain qu’il ne serait pas traître à sa trahison.

Ajoutez encore qu’il entrait dans le plan concerté entre Mirabeau et la Cour, — plan dans le détail duquel je n’ai pas lieu, ici, d’entrer, — de décréditer et de dépopulariser l’Assemblée nationale, de manière que l’opinion publique, réclamant sa dissolution et l’obligeant à se retirer, on pût faire de nouvelles élections plus favorables aux idées conservatrices. Or, pour décréditer l’Assemblée nationale en lui faisant faire des sottises, Mirabeau jouait chez elle, par des « discours incendiaires, » le rôle d’agent provocateur. Mais encore ni ses contemporains ne pouvaient savoir, ni nous-mêmes ne pouvons démêler si tel discours révolutionnaire de Mirabeau ou procède de son désir d’induire l’Assemblée en tentation de sottise, ou est dû simplement au tempérament tribunitien du grand orateur : et tout cela est parfaitement inextricable.

Il est très paradoxal, mais il serait, à mon avis, très exact de dire que Mirabeau s’est diminué pendant la Révolution. Certes, il ne s’est pas diminué comme orateur, cela va de soi, ni même comme homme d’Etat à idées générales (encore que