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Telles étaient les idées générales de Mirabeau, que je ne songe pas à approuver, puisque les miennes sont, sinon contraires, du moins très différentes, mais qui sont singulièrement fortes, étendues, compréhensives et inspirées au moins par la vue la plus lucide des dangers prochains (et du reste éternels) que contenait en lui le nouveau régime.


III

Telles étaient ses idées directrices. Sa conduite politique, qui, très souvent, ne fut pas inspirée par ses idées, est loin de mériter le même hommage. Mirabeau, toujours endetté et toujours avide d’argent, avec le caractère le plus indépendant du monde, manquait absolument de ce qui assure l’indépendance : il n’avait pas le goût de la pauvreté ; et donc il était essentiellement corruptible. Déjà, en 1788, il avait fait des appels d’argent du côté du ministre Montmorin pour ses frais d’élection en Provence. A peine mêlé aux luttes de l’Assemblée nationale, il vit que sa popularité pouvait être une valeur négociable et il fit avec la Cour ce fameux marché sur lequel on a tant discuté et qui, à mon avis, ne comporte pas cinq minutes de discussion. Dettes payées (208 000 francs), 6 000 francs de pension par mois ; un million à la fin de la session de l’Assemblée nationale si M. de Mirabeau avait bien servi le Roi.

Comme l’a très bien marqué M. Barthou, avec les distinctions peu nécessaires, mais utiles encore, c’était la vente pure et simple ; car si, à la rigueur, on peut admettre, ce que je prie de croire que je n’admets pas, qu’un député se fasse payer ses dettes par le gouvernement et accepte de lui des mensualités encourageantes ; se faire promettre un million à la condition de bien le servir, ce n’est pas autre chose que se mettre aux gages du gouvernement que l’on a le mandat de contrôler.)

Il résulta de ce marché que Mirabeau, à l’Assemblée, « louvoya » (c’est son mot) continuellement et c’est-à-dire agit de la façon qui était la plus contraire du monde à son tempérament et à son tour d’esprit.

Il le sent bien ; car au mérite extraordinaire qu’il s’attribue à ce propos on peut mesurer l’effort que cela lui coûtait et la difficulté qu’il avait à se plier à cette manœuvre : « Il faut, écrivait-il à M. de la Marck, plus de peine et de véritable habileté