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elle n’est plus législateur souverain ; elle n’est plus souveraine ; il n’y a plus d’aristocratie.

Il n’y a plus d’aristocratie, et donc, le veto n’est pas royaliste, n’est pas autocratique, il est démocratique.

Et c’est bien ainsi que Mirabeau prend les choses ; car il dit : « Quand il sera question de la prérogative royale, c’est-à-dire, comme je le démontrerai en son temps, du plus précieux domaine du peuple... » Il a raison ; le domaine du peuple, c’est sa souveraineté législative et il ne l’a pas plus quand une Assemblée la confisque que quand une royauté autocratique l’absorbe.

C’est bien comme sauvegarde du « domaine du peuple » que Mirabeau considère le veto ; car il dit : « J’aimerais mieux vivre à Constantinople qu’en France si le Roi n’avait pas le veto. Oui, je le déclare, je ne connaîtrais rien de plus terrible que l’aristocratie souveraine de 600 personnes qui, demain, pourraient se rendre inamovibles, après-demain héréditaires et finiraient, comme toutes les aristocraties du monde, par tout envahir. »

A la vérité, comme moyen de partage du pouvoir législatif et c’est-à-dire de la souveraineté entre le Roi et la représentation nationale, le veto n’était pas très heureux, n’était pas très rationnel. Il était, sinon le contraire, du moins l’inverse de ce qui serait rationnel. C’est un petit nombre d’hommes, instruits et informés, qui savent ce qu’ils veulent, la foule ne sait que ce qu’elle ne veut pas. C’est donc un homme placé au centre, et indépendant, autonome et détenteur, du reste, des traditions nationales et entouré et informé par un groupe d’élite, conseil d ministres ou conseil d’Etat, ou les deux ensemble, qui peut faire utilement la loi ; c’est l’Assemblée nationale qui peut utilement ne pas l’accepter et, en cas de conflit entre ces deux pouvoirs, c’est la nation consultée qui peut à son tour et définitivement la repousser ; et ce serait donc « au Roi en son conseil » qu’il faudrait donner l’action législative, et à l’Assemblée le veto suspensif, et à la nation le veto définitif.

Mais encore, dans l’état des esprits tel qu’il était en 1790, vouloir partager, même en l’envers, si je puis m’exprimer ainsi, le pouvoir législatif entre l’Assemblée et le Roi, c’était tout le possible comme effort anti-aristocratique, et ce n’était pas même le possible, puisque le projet de Mirabeau, sur ce point, échoua, comme on sait, complètement.