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N’est-ce rien que d’être sans parlemens, sans pays d’États, sans corps de clergé, de privilège, de noblesse ? Mirabeau, selon les excellentes formules de M. Barthou, veut « assurer le succès de la Révolution, la consommer pacifiquement » pour l’union intime de la nation qui la veut avec le Roi qui l’accepte et qui en profite ; il apprécie dans la monarchie la condition et la garantie de la Révolution, et il ne « conçoit le maintien et le développement des conquêtes révolutionnaires que sous la sauvegarde et dans le cadre de la Royauté. »

En un mot, il est démocrate-royaliste et royaliste-démocrate, et il veut fonder cette démocratie royale (je ne sais pas si le mot est de lui et je ne crois pas, mais il résume sa pensée) qui fut la doctrine de la grande majorité des révolutionnaires jusqu’en 1792.

Il veut fonder une royauté qui, sans corps intermédiaire, gouvernera le peuple par l’intermédiaire des lois seules ; à la royauté légitime il oppose et il veut faire succéder la royauté légale.

Mais encore, ces lois, qui les fera ? Le peuple lui-même ; car le seul pouvoir législatif, c’est le peuple : « La souveraineté (législative) réside uniquement et inaltérablement dans le peuple et le « souverain » n’est que le premier magistrat de ce peuple. » Le peuple fera la loi par le ministère de ses représentans librement élus. Il faut un corps législatif périodiquement renouvelé, qui fera la loi, et c’est à cette condition que la monarchie française prendra la forme définitive d’une « monarchie tempérée » et que l’on pourra « allier les principes du gouvernement représentatif avec ceux du gouvernement monarchique. »

— Mais voilà un corps, voilà un ordre, et vous qui ne voulez entre le peuple et le Roi qu’un intermédiaire moral, à savoir la loi, en créant un corps qui fait la loi, en créant un ordre qui fait la loi, vous reconstituez une aristocratie analogue aux anciennes et beaucoup plus forte, beaucoup plus limitatrice des pouvoirs du Roi et beaucoup plus usurpatrice des pouvoirs du peuple !

Analogue aux anciennes ; car elle sera élue et non héréditaire, il est vrai ; mais, parce qu’elle sera élue périodiquement, elle recevra périodiquement une investiture, une consécration nouvelle, qui manquaient aux anciennes, ce qui compensera parfaitement l’hérédité, d’autant plus que le choix des électeurs